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mardi 30 mai 2017

Où porte mon regard

"Partout où porte mon regard, je vois les visages grimaçants du totalitarisme : capital, lutte des classes, moralité, dogmes, doctrines, fanatisme et prosélytisme ; et ça m’effraie.

Moi dont la raison est sceptique (dans le sens de l’anekanta des jaïns, i.e. que l’humain n’est jamais capable que d’une pensée conditionnée, quoique capable de penser son conditionnement) et dont la plus ample espérance se love dans l’instantanéité de la mystique et l’ex/entase, je n’arrive pas à saisir la Rumeur du Monde. J’essaie depuis des lustres de discerner dans ce grondement les voix, d’en comprendre les motifs et les intentions, mais toujours la cohérence m’échappe : il n’y a que le chaos de ce Même dont on ne revient pas. Oui de ce Même : la même haine, la même peur, le même égoïsme, le même aveuglement, les mêmes petitesses bien mesquines, les mêmes arrogances, parfois des moments de générosité à cette table de l’Esprit, quand on partage les rires et les espérances, les tendresses et connivences. Mais hors de la Cène, c’est la Rumeur des Légions qui guettent l’occasion de se mettre sous le glaive l’âme d’un humain innocent, dont le seul tort est d’être hors de la Convoitise et de ses soucis.

Dans ce Monde où on fait subir à nos enfants tous les supplices conçus par des Imaginaires cruels et auxquels on se soumet faute d’avoir les couilles qu’il faut pour les faire s’évaporer à coups de Grand Non – non, je ne corrigerai pas le cancre souriant, non, je n’anéantirai pas les rêves de celui-là, non, je ne sacrifierai pas à l’Autel du Grand Rien à Barbe, juste non ! Je maudits Abraham est sa soumission qui depuis les millénaires est prétexte à abattre les moutons. Quelle humaine bêtise que de verser le sang non pas pour nourrir les hommes, mais pour faire plaisir à leurs dieux ! Tous ces sacrifices sanglants qui augmentent le charnier de notre suffisance ! Ô bien sûr, il faut bien mourir ! C’est écrit dans le Ciel que nous ne sommes que pour un temps, comme le Ciel lui-même. Alors pourquoi se donner des prétextes pour l’aller le rejoindre avec plus de célérité ? Par la guerre, la cruauté, l’exploitation, l’oppression, le viol et le vol, le vol de ce sang, le sang des sueurs, le sang des labours, celui des femmes et de leurs amants ?"

Karine Darmasing

mercredi 17 mai 2017

Liaison

" Le sentiment d'impuissance comme l'effroi face à tout changement, dont la réthorique de la terreur est complice, sont à l'origine des ornières de la pensée. Ces ornières font entendre les chuintements du ressassement dans ce qu'on lit et dans ce qu'on entend. Deux régimes incantatoires se partagent l'abattement: celui qui invoque la répétition du même au fil séculaire de l'histoire et celui qui, au contraire, invoquant l'absolue nouveauté du paysage anthropologique, justifie la passivité de chacun devant le cours inéluctable des innovations. À la plainte quotidienne et légitime qui dénonce la pollution de l'air et annonce l'agonie de la planète se joint, inséparable, l'expérience déprimante des tensions aggressives dans l'espace public. Le spectacle du pouvoir manifeste dans le lugubre éclat de la violence policière son incapacité politique, son indigence intellectuelle et son inculture. Les organes du pouvoir lui-même, dans leur acquiescement lucratif avec le capitalisme sauvage, se font serviteurs de toutes les dérégulations en faisant mine d'en combattre les dérèglements et même de nous en protéger! Tout sonne tellement faux, comme un instrument désaccordé! On peut à juste titre se demander quelles sont les voix qui peuvent se faire entendre, non pas pour formuler quelque vérité perdue ou encore inédite, mais pour rendre simplement à l'usage de la parole et au sens des mots leur pouvoir de liaison."

Marie José Mondzain, Extrait de Confiscation des mots, des images et du temps

lundi 15 mai 2017

Munda

" Il est des pierres qui engendrent. Il naît au sein de la terre des pierres osseuses. En Espagne, aux environ de Munda, d'autres présentent, quand on les brise, l'apparence de la paume de la main. "

Roger Caillois, Extrait de Pierres

jeudi 4 mai 2017

La lumière

"Le néon, comme la bougie, est entrain de disparaître, remplacé par une lumière plus forte, chaude, mais fausse et sans écho. Afin de la personnaliser, on a inventé des systèmes élaborés qui régulent l'intensité, créent des couleurs ou varient en synchronie avec la musique. Mais ce sont des expédients. Quand tout semble égal, on tente alors d'affirmer une certaine authenticité. Là où la lumière est désormais la même, on invente de tardifs modes de disctinction."

Roberto Peregalli, Extrait de Les lieux et la poussière; Sur la beauté de l'imperfection