" Le sentiment d'impuissance comme l'effroi face à tout changement, dont la réthorique de la terreur est complice, sont à l'origine des ornières de la pensée. Ces ornières font entendre les chuintements du ressassement dans ce qu'on lit et dans ce qu'on entend. Deux régimes incantatoires se partagent l'abattement: celui qui invoque la répétition du même au fil séculaire de l'histoire et celui qui, au contraire, invoquant l'absolue nouveauté du paysage anthropologique, justifie la passivité de chacun devant le cours inéluctable des innovations. À la plainte quotidienne et légitime qui dénonce la pollution de l'air et annonce l'agonie de la planète se joint, inséparable, l'expérience déprimante des tensions aggressives dans l'espace public. Le spectacle du pouvoir manifeste dans le lugubre éclat de la violence policière son incapacité politique, son indigence intellectuelle et son inculture. Les organes du pouvoir lui-même, dans leur acquiescement lucratif avec le capitalisme sauvage, se font serviteurs de toutes les dérégulations en faisant mine d'en combattre les dérèglements et même de nous en protéger! Tout sonne tellement faux, comme un instrument désaccordé! On peut à juste titre se demander quelles sont les voix qui peuvent se faire entendre, non pas pour formuler quelque vérité perdue ou encore inédite, mais pour rendre simplement à l'usage de la parole et au sens des mots leur pouvoir de liaison."
Marie José Mondzain, Extrait de Confiscation des mots, des images et du temps
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