«Thiers a raison, comme ont raison tous les historiens qui cherchent l'explication des événements historiques dans la volonté d'un seul homme; il a raison comme ont raison les historiens russes lorsqu'ils affirment que Napoléon fut attiré à Moscou par les manœuvres habiles des chefs militaires ruses. Ce qui joue ici, ce n'est pas seulement cette vision rétrospective des choses qui considère tout le passé comme préparant le fait accompli, c'est également une certaine interférence des événements qui embrouille tout.
Si un bon joueur d'échecs perd un partie, il est sincèrement persuadé que cela tient à ce qu'il a commis une faute et il cherche cette faute en remontant au début, mais il oublie qu'il en a commis d'autres à chaque pas, tout au long de la partie, qu'aucun de ses coups n'était parfait; la faute qui attire son attention, il ne la remarque que parce que son adversaire en a profité. Et combien plus complexe est le jeu de la guerre qui se déroule dans certaines conditions de temps, où il ne s'agit pas de pièces inertes dirigées par une volonté unique, mais où tout résulte d'innombrables heurts de volontés individuelles.»
Léon Tolstoï, extrait de Guerre et Paix
Dans "certaine interférence des événements qui embrouille tout", est-ce l'incertitude ou l'embrouille le plus fécond? Dans les échecs, les règles et 64 petite cases viennent leur fixer des limites. Les volontés individuelles y demeurent pourtant génératrices de tout. "La vision rétrospective des choses", c'est après l'après. La perspective du moment présente, c'est elle la première, la sacrée.
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