« Ainsi les diverses lignes d'équivalence (isobathes, isobarres, isonéphèles ou isothermes) joignent les points de même profondeur ou de même pression atmosphérique, de même nébulosité ou de même température moyenne; plus subtiles déjà, les lignes isochimènes, isoclines ou isodynames relient les lieux de même température moyenne en hiver, de même inclinaison de l'aiguille aimantée, de même force magnétique. La même technique s'applique d'ailleurs au phénomènes humains: le linguiste trace sur l'atlas les isoglosses qui fixent les frontières des usages grammaticaux. Les énumérations du poète ne font que transposer cette minutie des investigateurs: cartographe de l'âme, il réunit en courbes enseignantes les mêmes soucis, les mêmes manies, les mêmes besognes, les patiences du même ordre, les bonheurs du même aloi, tout un projet, tout un succès de même niveau ou de même aspiration ou de même ampleur. Il obtient des séquences sinueuses que le caprice paraît gouverner, mais qui contribuent à fonder une science neuve, rebelle au nombre, domaine et cime de la qualité pure, qui instruit de relations méprisées et pourtant importantes. Cette algèbre montre la répartition, la secrète correspondance des plaisirs, des ambitions, de tout mouvement ou dessein de l'âme, sous quelque ciel et en quelque âge que ce soit, à travers la diversité des hasards et des cultures. Le poète découvre, classe et rapproche les préférences fraternelles des individus, dispersées et méconnaissables, sous les pressions déformantes des grands ensembles de coutumes. »
Roger Caillois, Extrait de Poétique de Saint-John Perse
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