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vendredi 13 octobre 2017

Souvenir, que veux-tu?

La rêverie moutonne à l'image du ciel et de la mer. Tranquille ou agitée, la matière mouvante de la conscience diffluente se propage dans le temps qui s'étonne. Un poète de la récurrence ne se fabrique pas des souvenirs par commodité. Il ne spécule pas, pour le prestige du songe, sur quelque époque enfuie dans la foulée des proches qui ont disparu derrière l'horizon. Et si à la place habituelle des choses longuement apprivoisiées ne subsiste qu'en tremblement d'air et de lumière, alors c'est qu'une fantasmagorie dépaysante a pris toute la place où vivre maintenant n'est qu'indécision d'être. Cette odeur de javel qui émane des vêtements, semble-t-il, diffusément conduit, par transfert perceptif, à l'écho des cloches du dimanche; il fallait se garder propre toute la journée, quel ennui, et les yeux soudain découvrent un intérieur brouillé, où suis-je, qui est là?

J'ai toujours habité de grandes maisons tristes
Appuyées à la nuit comme un haut vaisselier

La rémémoration qui rumine dans l'iréel rejoint par imprévu le côté mystérieux du langage, « l'accident, le don pur, ce qui n'est pas légué, ni appris, ni imposé, ni même voulu ». Passéisme du rêveur? Un philosophe fruste habite le poète et à la suite de la transe cotonneuse qui l'a possédé lui suggère un nouvel étonnement.

« Aimer le passé, c'est se réjouir qu'il soit en effet le passé; que les choses — perdue cette rudesse dont , dans le présent, elles égratignent, nos yeux, nos oreilles et nos mains — s'élèvent à la vie pure et essentielle qu'elles acquièrent dans la réminescence. »

Ce qui s'engloutit dans le mutisme qui est en nous, la rêverie le repêche et le ramène à la surface du temps où l'élémentaire tient tout l'espace de la profondeur. Feu de bois, magie jamais éventée. Plaque de terre séchée sous la semelle, vertige d'abîme. Sifflement des fils électriques sous le vent, appel lancinant de folie. La branche d'hiver qui d'un coup de rein se débarasse de la neige qui la pliait vers le sol, c'est l'énergie riante que l'on mettait dans la bousculade avec les condisciples à l'heure de la récréation. Et c'est infini soudain, d'une incohérence de kaléidoscope. Mordre dans une orange , se piquer avec une aiguille, offrir ses paumes à la pluie, éteindre la dernière lampe, banalités qui rayonnent dans la mémoire inconsciente, grains d'énergie qui brûlent les niaiseries du langage.

Ça ne veut rien dire , ces parcelles d'une vie révolue, pourtant on les dit, pour peu qu'on s'abandonne à la rêverie qui, vraiment, a tout le langage. 

Jacques Brault, Extrait de Au fond du jardin

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