Un tableau, c'est une pensée sous scellés. Cest cette mine de riens que le moindre regard anime, inquiète, fait rougir, ou gêne. Le peintre encadre son secret, pour mieux l'aérer, il y a quelque chose de provoquant, de tranquillement agressif, de follement solitaire, irréductible, dans un tableau. Et la nuit, il en est qu'on entend craquer, comme si leurs membres se désankylosaient. Mais dès que l'homme reprend sa place de spectateur à roulettes, c'est motus, bouche cousue, on se serre les coudes, on ne dira rien, on s'aime ainsi, et pas autrement, vous avez beau me regarder, me scruter, me déshabiller, vous êtes loin du comte ‒ du conte? C'est que je ne vous cache rien, sinon ma respiration essentielle, mon coeur, je vous sais cruels, et que vous n'êtes pas habitués, vous autres hommes, à cette liberté, à cette pudeur spéciale, à ce manque de cabotinage. Un grand tableau, comme un grand drame ‒ Hamlet ‒ c'est une complicité absolue dans l'organisation d'un rêve refermé sur lui-même, mais très aveuglement pénétrable. S'y perdre innocemment, s'y risquer en silence.
Georges Perros, Extrait de Dessiner ce qu'on a envie d'écrire