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samedi 28 juillet 2018

Observation

Li Ch'eng-sou
(dynastie Yuan)

Ceux qui se spécialisent dans les fleurs et les oiseaux doivent les observer attentivement et au besoin se renseigner auprès de ceux qui s'en occupent. Qu'il s'agisse d'un insecte qui crie ou d'un insecte qui combat, d'un oiseau familier ou d'un oiseau rapace, il convient qu'ils s'interrogent longuement les éleveurs pour connaître sans erreur les traits caractéristiques de chaque espèce. Il en va de même pour ce qui concerne les autres animaux: buffles, tigres, chiens, chevaux, etc. Sinon, on aura beau soigner le style, on s'éloignera toujours davantage du vrai. Le grand Han Kan l'a bien dit: « Mes maîtres, ce sont les chevaux de l'écurie impériale. » Quant aux fleurs et au bambous, le peintre a tout intérêt à se rendre dans un jardin cultivé par un vieil horticulteur et à y demeurer matin et soir. Il finira par connaître dans les détails comment les fleurs et bambous poussent et donnent des bourgeons, comment ils s'épanouissent et se fanent. 

François Cheng, Extrait de Souffle-Esprit

vendredi 20 juillet 2018

jeudi 19 juillet 2018

Strange Fruit

Plus vite

« Tous les enseignements se trouvent soumis à des règles d'évaluation, de performance et de rapports comptables qui ont déprécié tout rapport de temps. Il faut aller vite, de plus en plus vite, qu'il s'agisse d'enseigner, de soigner, d'informer. La loi du capitalisme énoncée par Franklin, selon laquelle « le temps c'est de l'argent », n'a jamais été appliquée aussi implacablement. »

Marie-José Mondzain, Extrait de Confiscation des mots, des images et du temps

mercredi 18 juillet 2018

Ambae

Malgré les tentatives d'effacement du Ambae, le soleil continue de briller. L'île aux lépreux a éjecté ses cendres à 33 000 pieds au-dessus du niveau de la mer, de quoi nous faire un bel hiver. On rêve dans les chaumières, et plus la terre se secoue, plus on rêve d'un soleil brillant éternellement. 

mardi 17 juillet 2018

La petitesse

Elle est sublime, la petitesse
d'une goutte de rosée
saisissez-la quand elle tremble
encore sur un pétale
et que le temps s'immobilise et que l'infime
vous accorde l'infini.
Claude Esteban, Extrait de La mort à distance

mercredi 11 juillet 2018

Deux idiomes

« Du moins ( - l'acquisition du langage - ) apporte-t-elle à ceux qui la mènent à bien une assurance majeure : celle de la stabilité physique et morale du réel, celle aussi, plus précieuse encore, de la véracité des signes qui, presque magiquement, sont voués à en rendre compte. Encore faut-il que le langage où l'enfant s'aventure constitue à ses yeux une manière de totalité bienveillante, un lieu unique, irrécusable, que le doute n'habite pas ni le péril des équivoques. A chaque chose, l'exacte repartie des mots ; à chaque mot, une place dans l'immense vocabulaire du monde. Un tel bonheur ne m'est point échu. Dès les premiers moments de mon expérience balbutiante, il m'a fallu chercher un chemin à travers deux idiomes qui s'affrontaient dans mon esprit, m'imposant leurs directives divergentes, leurs codes et leurs déchiffrements singuliers. »

Claude Esteban, Extrait de Le Partage des mots

L'amoureux des bancs publics

L'amoureux des bancs publics

C'est peut-être un autre monde

Il pleut très doucement dans un poème
et la ville est couchée là tout près comme un bon chien,
des choses passent et puis d'autres reviennent
il pleut si doucement que c'est peut-être un autre monde
pareil à celui-ci mais sans hâte et sans orgueil
et c'est dans le dedans de soi comme des gouttes
de silence. 
Claude Esteban, Extrait de Quelqu'un commence à parler dans une chambre

mercredi 4 juillet 2018

Se tromper

« On lutte contre sa propre superficialité, son manque de profondeur, pour essayer d'arriver devant autrui sans attente irréaliste, sans cargaison de préjugés, d'espoirs, d'arrogance, ; on ne veut pas faire le tank, on laisse son canon, ses mitrailleuses et son blindage ; on arrive devant autrui sans le menacer on marche pieds nus sur ses dix orteils au lieu d'écraser la pelouse sous ses chenilles ; on arrive l'esprit ouvert, pour l'aborder d'égal à égal, d'homme à homme, comme on le disait jadis. Et, avec tout ça, on se trompe à tous les coups. Comme si on avait pas plus de cervelle qu'un tank. On se trompe avant même de rencontrer les gens, quand on imagine la rencontre avec eux ; on se trompe quand on est avec eux ; et puis quand on rentre chez soi, et qu'on raconte la rencontre à quelqu'un, on se trompe de nouveau. Or, comme la réciproque est généralement vraie, personne n'y voit que du feu, ce n'est illusion, malentendu qui confine à la farce. Pourtant, comment s'y prendre sans cette affaire si importante – les autres – qui se vide de toute la signification que nous lui supposons et sombre dans le ridicule, tant nous sommes mal équipés pour nous représenter le fonctionnement intérieur d'autrui et ses mobiles cachés ? Est-ce qu'il faut pour autant que chacun s'en aille de son côté, s'enferme dans sa tour d'ivoire, isolée de tout bruit, comme les écrivains solitaires, et fasse naître les gens à partir des mots pour postuler ensuite que ces êtres de mots sont plus vrais que les vrais, que nous massacrons tous les jours par notre ignorance ?

Le fait est que comprendre les autres n'est pas la règle, dans la vie.

L'histoire de la vie, c'est de se tromper sur leur compte, encore et encore, encore et toujours, avec acharnement et, après y avoir bien réfléchi, se tromper à nouveau.

C'est même comme ça qu'on sait qu'on est vivant : on se trompe.

Peut -être que le mieux serait de renoncer à avoir tord ou raison sur autrui, et continuer que pour la balade. Mais si vous y arrivez vous... alors vous avez de la chance. »

Philip Roth, Extrait de Pastorale américaine

Salutation au soleil

Salutation au soleil

La langage

« Le voyage, c'est-à-dire le langage, n'a de sens, dans le système de Bérénice, que parce qu'il fait du désir la réinvention de la vie. « S'il faut, pour garder mes paupières ouvertes, j'arracherai mes paupières. Je choisirai le sol de chacun de mes pas. À partir du peu d'orgueil que j'ai, je me réinventerai. » (p. 32). Cette façon belliqueuse de provoquer l'invention et de se proclamer le seul créateur de la vie nouvelle n'a elle-même de sens que par la négation pure et simple de ceux que Ducharme appelle les autres. Il faut libérer cette peur première. « Il faut trouver les choses et les personnes différentes de ce qu'elles sont pour ne pas être avalé. Pour ne pas souffrir, il ne faut voir dans ce qu'on regarde que ce qui pourrait nous en affranchir. » (p. 24). Il faut donc prendre tout, posséder par la destruction, connaître à coups de hache, casser le langage, casser ses significations. La deuxième équivalence exprime ainsi le désir de départ dans la possession de l'univers. »

Michel Van Schendel, Extrait de Ducharme l'inquiétant