Rechercher sur ce blogue

mercredi 29 août 2018

Par la contrainte

« Mon trésor le plus lourd est ma force de travail. Cette inversion du travail forcé est un échange salvateur. J'ai en moi un forcené de la grâce qui est un parent de l'ange de la faim. Il sait le moyen de dresser tous les autres trésors. Il me monte au cerveau, me pousse à être envoûté par la contrainte, car j'ai peur d'être libre. »

Herta Müller, Extrait de La bascule du souffle

mardi 28 août 2018

Dimension politique

« Au bout du compte, dans chaque famille, même les relations muettes et machinales les plus personnelles ont une dimension politique, puisqu’elles sont une réaction au système politique environnant. Le politique a provoqué bien des maux, sur le plan moral, il a eu des retombées funestes sur toutes les choses, sur tous les êtres. Chaque histoire familiale est aussi, accessoirement, la décalcomanie privée de l’histoire contemporaine.

Certainement, le politique est toujours là, mais on décide soi-même ce qu’on fait ou non : c’est ce qu’on appelle la responsabilité personnelle. Même après coup, ce qu’on va retenir des expériences vécues relève de notre décision. Je crois que les parents, l’origine, le bonheur ou le malheur de l’enfance ne peuvent pas servir de prétexte. On est à coup sûr un résultat, mais son propre résultat. Personne ne peut vous forcer à devenir ce que votre éducation a fait de vous, ni à le rester. L’enfance a une date de péremption assez rapide. Ensuite, on est livré à soi-même, et durant toute sa vie, on doit s’éduquer tout seul, que ça nous plaise ou non. Je ne sais pas comment on s’y prend : pour soi-même, on est d’une telle opacité… Ces choses, on les connaît du dehors, mais leur effet reste une énigme. On ne sait pas comment le vécu fonctionne en nous. »

Herta Müller, Extrait de Tous les chats sautent à leur façon

Lumière et profondeur

Light and depth

vendredi 24 août 2018

Le paysage de l'enfance

« Le paysage de l'enfance, marque à jamais notre vision des paysages. Le paysage de l'enfance nous socialise sans avertissement préalable. Il s'insinue en nous. »

Herta Müller, Extrait de Tous les chats sautent à leur façon

mercredi 22 août 2018

Apprendre

« Apprendre à apprendre exige de pouvoir convertir toute certitude en question, et de n'attendre de réponse qu'en prêtant attention à ce qui se tient devant nous, dans le monde, et non pas en couchant sur la table des matières d'un livre. Le chemin de la découverte consiste à aller au-devant des choses en se laissant porter par un sentiment, et non pas à regarder par dessus elles ; il consiste en une forme d'anticipation plutôt que de rétrospection. »

Tim Ingold, Extrait de Faire - Anthropologie, Archéologie, Art et Architecture

Delphinium

Delphinium

Eau métronomique

Ce vent a des mains. Une odeur. Un repère. Il se cache, réapparaît, amène la pluie avec lui. Ce qui s'effondre sur le sol avant l'apparition de l'aube ; cette eau métronomique porte l'effluve des sous-bois de mon enfance; odeurs de rivière et de terre.

jeudi 9 août 2018

Allium

Allium

Entre les choses

« Il existe une relation forte entre les choses proches, une relation faible entre les choses distantes et entre les choses très éloignées, il n'y a plus aucune relation, et là, on touche au divin. »

László Krasznahorkai, Extrait de Guerre & Guerre

mardi 7 août 2018

Le chasseur de la Kamo

« Autour de lui tout est en mouvement, le message d'Héraclite a semble-t-il réussi, une seule et unique fois et malgré d'effroyables obstacles, à traverser l'univers et, à la faveur de quelque profond courant, arriver jusqu'ici, puisque l'eau bouge, coule ruisselle, afflue, se déverse, la brise soyeuse s'ébranle, les montagnes oscillent sous la chaleur, la chaleur elle-même se meut, frémit, vibre dans le paysage, tout, ici, bouge, comme les îlots de hautes herbes touffues, qui tremblent, une à une, au creux de la rivière, comme chaque vaguelette, qui plonge, en se brisant au-dessus des eaux peu profondes, comme chaque élément, fugace, insaisissable, de cette vaguelette impétueuse, et chaque éclat de lumière à la surface de cet élément fugace, une surface insaisissable, émergeant pour disparaître aussitôt avec ses gouttelettes de lumière qui étincellent avant de se désagréger, et les nuages, qui défilent en tourbillonnant, et le soleil, terriblement concentré mais dont les contours restent flous, le soleil éblouissant, radieux, follement brillant, s'étendant sur toute la création momentanée, et les poissons, les grenouilles, les insectes, les petites reptiles, dans la rivière, et les voitures, et les autobus, le 3, le 32, le 38, avançant impitoyablement, pare-chocs contre pare-chocs, sur l'asphalte fumant des deux routes qui bordent les rives, et les bicyclettes filant à toute allure sur les berges le long des parapets, et les hommes et les femmes marchant sur les sentiers, ici construits, là tracés dans la poussière, et les pierres de barrage disposées de façon asymétrique, noyées sous la masse d'eau glissant sur elles, chacun ici joue ou vit son histoire, agit : avance, marche, plonge, émerge, disparaît, se dresse, court, coule, file quelque part, lui seul, l'Oshirosagi, ne bouge pas, lui, cet immense oiseau blanc, ce chasseur à découvert, totalement vulnérable face à toute attaque : il se penche en avant, étire son cou en forme de S et ainsi aligne sur le même axe sa tête et son long et robuste bec, il contracte le tout et le pointe vers le bas tout en plaquant ses ailes contre son corps, ses frêles pattes prennent appui sur un point précis sous l'eau, il braque ses yeux sur la surface du fil de l'eau, sur la surface, certes, mais naturellement il voit, à travers le prisme de la lumière, ce qui se trouve sous cette surface, il voit avec une netteté cristalline tout ce qui s'y déplace, aussi rapide soit-il, dès qu'un poisson, une grenouille, un insecte ou un petit reptile surgit au gré de cette eau ruisselante dont le cours se brise par endroit pour se remettre à bouillonner aussitôt, d'un coup de bec rapide et infiniment précis il harponne et soulève quelque chose, tout se passe si vite qu'il est difficile de le voir, on ne peut que savoir qu'il s'agit d'un amago, d'un ayu, d'un huna, d'un kamotsuka, d'un mugitsuku, d'un anagi ou d'un autre poisson et c'est pour cela qu'il s'est posté au milieu de la rivière Kamo, là où les eaux sont si peu profondes, c'est pour cela qu'il se tient là, durant un temps qui ne s'écoule pas, ne se mesure pas en durée, mais est cependant indubitablement réel, un temps qui ne va ni en avant ni en arrière, mais tourbillonne vers le nulle, comme si cet temps avait été propulsé dans une toile au maillage incroyablement complexe, et il doit établir et maintenir son immobilité en résistant à des forces qui ne peuvent être saisies que dans leur simultanéité, et c'est précisément cela, cette capture de simultanéité, qui est irréalisable, c'est pourquoi elle reste indicible, les mots cherchant à la décrire, séparément ou dans leur ensemble, abandonnent la partie, mais l'oiseau doit pourtant, subitement, l'espace d'un instant, prendre appui sur le sol et ainsi bloquer toute forme de mouvement, et il doit, seul, au milieu de la folie des événements, seul, au beau milieu de ce monde agité, fourmillant, rester dans cette instant propulsé hors du temps, pour qu'ensuite cet instant se referme sur lui, et qu'il fige alors son corps blanc immaculé au beau milieu de ce mouvement trépidant, qu'il déploie son immobilité contre les forces monstrueuses qui l'assaillent de toutes part à la folie générale de cette agitation frénétique, qu'il bougera lui aussi, avec les autres, qu'il frappera à la vitesse de l'éclair, mais actuellement, il est encore dans l'instant qui se referme sur lui, au tout début de la chasse. »

László Krasznahorkai, Extrait de Seiobo est descendue sur terre