Rechercher sur ce blogue

vendredi 23 août 2024

Coucher de soleil sur un lac

Nul autre peintre n’a rendu l’éclat du trépas aussi citronné. Observe cet espace blanchi à l’ocre gauche. Il n’y a plus aucune trace de rustre en lui, que le raffinement d’une tendresse clémentine, une peau d’orange avant la nuit. Faut-il avoir été sevré de liesse pour savoir peindre la transfiguration solaire? Je crois que si, né entièrement de la folie d’une mer. Devant la chute de l’astre qui récite qu’il n’y a pas d’expansion sans mort, de mort sans explosion; béant, laisse-le, avec souffle, se livrer aux lumières incertaines. Sun Setting over a Lake

jeudi 22 août 2024

L'arbre du peintre

L'arbre du peintre

Un passage parlé

« À l’image mécanique et instrumentale du langage que nous propose le grand système marchand qui vient étendre son filet sur notre Occident désorienté, à la religion des choses, à l’hypnose de l’objet, à l’idolâtrie, à ce temps qui semble s’être condamné lui-même à n’être plus que le temps circulaire d’une vente à perpétuité, à ce temps où le matérialisme dialectique, effondré, livre passage au matérialisme absolu – j’oppose notre descente en langage muet dans la nuit de la matière de notre corps par les mots et l’expérience singulière que fait chaque parlant, chaque parleur d’ici, d’un voyage dans la parole ; j’oppose le savoir que nous avons, qu’il y a, tout au fond de nous, non quelque chose dont nous serions propriétaire (notre parcelle individuelle, notre identité, la prison du moi), mais une ouverture intérieure, un passage parlé. »

Valère Novarina, Extrait de Devant la parole

mercredi 21 août 2024

La place

La terre bouge au bout du monde
la main sans fin dans les cheveux de l'autre.
On imagine quelques pas sur le sable;
le temps de prendre une autre route
sur la peau aimée,
le passé admis à la barre du silence
comme un nouveau souffle
pour la rotation des corps.

La brise succombe au regard.
Tu occupes la place
laissée par le passage des oiseaux.

Michèle Gagné, Extrait de Habiter ici

mardi 20 août 2024

La mangeuse de terre

Kaʻula o Keahi! Rougeoiement du feu. La mangeuse de terre avance, mais qui s'en soucie ? La toile est une fissure qui s'ouvre le temps de l'«œuvrement», après, si l'on tarde trop, s'ensuit le règne hermétique du basalte.

lundi 19 août 2024

Les ghawazi du Nord

Ondes aux teintes givrées de sumac, les ligneuses frémissent en connivence, t’offrant les plaisirs de l’arrogement des verts profonds. Mouvement suave; identique à la pulsion de croquer le miel des mélèzes; ce saisissement de toutes couleurs, tu le portes toute l’année en ton sein.

De l’effeuillage caduc, que reste-t-il à regarder, sinon l’arbre et l’arbrisseau. Rarement silencieuse, toujours à saveur d’érable et de bouleau, cette danse de la mue porte l’histoire de l’abscission et de la chute des temps.

Fluidité sonore chez les marcescentes; comptant les brises et les vents de mai; gavant l’oreille, dans un chuintement de sagattes, avant la tombée des voiles et des nuées.

samedi 17 août 2024

Sur notre île

« Au centre d'un terrible désordre, une petite aiguille d'acier, en équilibre sur sa pointe, rétablit l'horizon et un premier reflet appelle déjà le calme. Les sirènes émergent venant semer sur la grève leurs étincelantes écailles. Si la nuit est douce, la rive, dès l'aube, sera recouverte d'un bouclier à mille facettes, chacune d'elles indiquant le nom et l'emplacement d'une île inconnue. Les explorateurs qui, par hasard, viendront à passer par ici, apercevant ces indications inespérées, poursuivront infailliblement leur route à la conquête de ces îles. Tout danger de massacre ainsi écarté, nous conservons notre calme dans un désordre qui nous est de plus en plus familier. »

Roland Giguère, Extrait de l'album Thomas Hellman chante Roland Giguère

jeudi 15 août 2024

Rigi

« Sur le Rigi, on devient statue. L’émotion est immense. C’est que la mémoire n’est pas moins occupée que le regard, c’est que la pensée n’est pas moins occupée que la mémoire. Ce n’est pas seulement un segment du globe qu’on a sous les yeux, c’est aussi un segment de l’histoire. Le touriste y vient chercher un point de vue ; le penseur y trouve un livre immense où chaque rocher est une lettre, où chaque lac est une phrase, où chaque village est un accent, et d’où sortent pêle-mêle comme une fumée deux mille ans de souvenirs. »

Victor Hugo, Extrait de Lettre à Adèle, 1839

mercredi 14 août 2024

La quinceañera

La quinceañera

Comme une vague

« La légèreté comme une vague nous poursuit pour nous ramener dans les lieux peu nombreux de cette terre où, au moins une fois, nous avons été heureux. J’ai rêvé qu’il neigeait dans Nutshimit. Le vieux nom des rêves, écrit par derrière la vie, continue d’exiger sa part d’existence, que je l’entende ou pas, il souffle ses lettres anciennes dans mes yeux, dans ma bouche. »

Laure Morali, Extrait de En suivant Shimun

mercredi 7 août 2024

Thanatos versus Chaos

«La mort est passée la photo arrive après, qui contrairement à la peinture ne suspend pas le temps, mais le fixe.» À partir de l'énoncé de Mathieu Riboulet, je scrute les différences trouvées dans ma pratique photographique et picturale. Je cherche une annotation intime, une signature du regard située en arrière de l'œil, dans l'organe sensible, la rétine. 

Entre les deux techniques, la différence sont les bords. J'entends par là qu'en photographie, l'œil est encadré, dans une boîte, limitant le champ visuel sur les côtés, au-dessus et dessous; tandis qu'en peinture l'œil mobile compose avec des bords tombant dans le vide, rejouant ainsi ce fameux espace préexistant à toutes choses, celui du néant primordial.

Pensée libre

« Faut-il le répéter ? La liberté de pensée ne se trouve ni à droite ni à gauche ni même dans l'anarchisme. Elle ne loge dans aucune religion, dans aucun système politique ou philosophique, pas plus dans l'athéisme que dans la laïcité. Tout cela représente des robes, des voiles et des attaches et Pensée va toute nue, tel le jeune François d'Assise abandonnant entre les mains de l’évêque les vêtements par lesquels le prélat voulait le retenir afin de le remettre dans le chemin balisé de la droite raison. Or la liberté n'a pas raison mais elle va son allure, impertinente, juvénile, elle déjoue la barbarie comme l'esprit de productivité, l'imposture intellectuelle comme la facilité. Elle est dans ce refus de tout conditionnement et de toute appartenance, elle se trouve dans la ville et dans le désert, elle passe tel un vent dans la forêt, une tempête sur la demeure provisoire. Elle n'a pas de dévots, elle n'a pas de suiveurs mais seulement des relais. On ne voit guère ses progrès dans la conduite des hommes mais elle avance, seule. Elle n'a pas de famille, de clan ni de parti, elle ne regarde jamais son visage et les années glissent sur ses épaules de jeune fille. Elle ne veut rien prendre mais tout dénouer. Elle avance mais on ne la remarque pas; elle est si nue, tandis que les passants sont engoncés dans leurs croyances, dans leurs principes. Elle est nue, elle va son chemin, elle ne requiert nulle acclamation. »

Jacqueline Kelen, Extrait de L'esprit de solitude

lundi 5 août 2024

Concentré

« Bien souvent, des Esseintes avait médité sur cet inquiétant problème, écrire un roman concentré en quelques phrases qui contiendraient le suc cohobé des centaines de pages toujours employées à établir le milieu, à dessiner les caractères, à entasser à l’appui les observations et les menus faits. Alors les mots choisis seraient tellement impermutables qu’il suppléeraient à tous les autres ; l’adjectif posé d’une si ingénieuse et d’une si définitive façon qu’ils ne pourrait être légalement dépossédé de sa place, ouvrirait pendant des semaines entières, sur son sens, tout à la fois précis et multiple, constaterait le présent, reconstruirait le passé, devinerait l’avenir d’âmes des personnages, révélés par les lueurs de cette épithète unique. »

Joris-Karl Huysmans, Extrait de À rebours

dimanche 4 août 2024

Main matière

De ma main dans la matière; qui se retire, s'agite, s'ajoute, se déverse, frappe ou tranche; il en résulte implacablement des sillons géologiques, hydrauliques, électriques. C'est pour ces observations grandioses que je recouvre le lin, inlassablement, car dans la répétition du geste, le monde de la matière s'ouvre plus fortement que par sa représentation. Tel un sourcier, chercher la faille jaillissante, d'une lumière autre, aussi pure que celle de l'aube, aussi troublante que celle de l'entre chien et loup.