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mardi 28 janvier 2020
Les lieux affirmés
« Et chaque fois que je perçois cet orgueil, soit triomphant dans la facilité de la pierre, soit combattu et comme courbé dans les voûtements du pisé après des lieues et des lieues de pierrailles et de sel ; partout où l'on a voulu un surcroît de mur, orner une façade, surélever des terrasses, y paraître, faire entendre au soleil levant, ou couchant une musique de la dissolution du moi illusoire mais sur des assises de roc, et dans l'architecture qui est la permanence vécue, en tous ces lieux affirmés, oui, je me sens chez moi, à l'instant même où j'aspire à l'insitué qui les nie. »
Yves Bonnefoy, Extrait de L'arrière-pays
mardi 14 janvier 2020
Accepter l'invisibilité
« Tout est récupérable, à partir du moment où l'on se met à désirer un maximum de visibilité. Il faut accepter l'invisibilité. La bataille pour la force des choses invisibles, l'emporte sur le caractère spectaculaire, donc, tant que nous serons tous d'accord pour faire à notre place ce qu'il est indispensable de faire en tenu, en dignité et en résistance, sans se demander si on a été bien vu, repéré, interviewé, photographié ou mis en scène pour témoigner de la grandeur de nos actions, je pense que l'on a des chances de gagner. Si dans les forces saxifrages, qui existent, certains se laissent tenter par la mise en scène, la théâtralisation spectaculaire télévisuelle ou médiatique de la noblesse de leurs combats, tant pis pour eux, ils seront perdus pour nous. »
Marie-José Mondzain, Extrait de Comment réhabiliter la radicalité ? - Marie José Mondzain (2017, France Culture)
lundi 13 janvier 2020
dimanche 12 janvier 2020
vendredi 10 janvier 2020
Les morts ne sont pas plus loin de nous que les vivants
« Les morts ne sont pas plus loin de nous que les vivants. Le train de nuit perfore cette pensée. Elle tend ses vitres d'un velours noir. Je vais vers toi. Il fait froid. Le cœur est ce feu qui maintient les loups hors du cercle de notre vie. Je ne sais si je pourrai voir ton visage au terme de ce voyage. C'est égal. Ton visage est en moi, résumé par deux yeux étonnés dans le brouillard du monde. Les morts ne sont pas plus loin de nous que les vivants. J'aime cette pensée inconnue venue vers moi avec son écharpe de froid. Ce que j'appelle penser, c'est être appelé, convoqué soudain par une parole qui ne se forme ni dans le cerveau ni dans la bouche, mais dans cet abîme que nous portons en nous, où nous n'allons jamais, ce puits sans fond d'où montent des voix d'enfants et des étoiles, le cœur. Je suis au bord de tout comprendre. Cela m'arrive mille fois par jour. Au bord, pas plus - comme l'archéologue penché sur les miettes d'un papyrus, ou le tout-petit sur le visage de sa mère endormie, pure, très pure énigme du dieu qui s'absente. Les morts ne sont pas plus loin de nous que les vivants. Je voyage dans cette parole. Elle sert mes tempes, elle va durer trois heures, le temps du trajet.
Aller vers ceux qu'on aime, c'est toujours aller dans l'au-delà. »
Christian Bobin, Extrait de Pierre,
jeudi 9 janvier 2020
La neige
« J'ai pour amie principale la neige. Elle me rend visite deux ou trois fois l'an. Elle a d'autres noms que le mien dans son carnet d'adresses. Je ne suis pas jaloux - la neige est l'amante parfaite. J'ai toujours reçu l'amour qu'on m'adressait comme ne s'adressant pas à moi mais à bien plus. La flèche ignore l'air qu'elle fend. Tout amour file vers Dieu, que celui-ci existe ou non. »
Christian Bobin, Extrait de Pierre,
vendredi 3 janvier 2020
Je me moque de la peinture
« Je me moque de la peinture. Je me moque de la musique. Je me moque de la poésie. Je me moque de tout ce qui appartient à un genre et lentement s'étiole dans cette appartenance. Il m'aura fallu plus de soixante ans pour savoir ce que je cherchais en écrivant, en lisant, en tombant amoureux, en m'arrêtant net devant un liseron, un silex ou un soleil couchant. Je cherche le surgissement d'une présence, l'excès du réel qui ruine toutes les définitions. Bach est plus qu'un musicien. Soulages est plus qu'un peintre. Rimbaud n'est poète que secondairement, comme les cendres qui retombent en papillons du volcan — ses poèmes. Je reconnais dans ces insensés ce qu'apprend avec effroi le nouveau-né, chaque fois que le visage de sa mère lui réapparaît, crevant la toile de l'air comme le lion le cercle de feu: il y a une réalité infiniment plus grande que toute réalité, qui froisse et broie et enflamme toutes les apparences. Il y a une présence qui a traversé les enfers avant de nous atteindre pour nous combler en nous tuant. »
Christian Bobin, Extrait de Pierre,
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