« Les morts ne sont pas plus loin de nous que les vivants. Le train de nuit perfore cette pensée. Elle tend ses vitres d'un velours noir. Je vais vers toi. Il fait froid. Le cœur est ce feu qui maintient les loups hors du cercle de notre vie. Je ne sais si je pourrai voir ton visage au terme de ce voyage. C'est égal. Ton visage est en moi, résumé par deux yeux étonnés dans le brouillard du monde. Les morts ne sont pas plus loin de nous que les vivants. J'aime cette pensée inconnue venue vers moi avec son écharpe de froid. Ce que j'appelle penser, c'est être appelé, convoqué soudain par une parole qui ne se forme ni dans le cerveau ni dans la bouche, mais dans cet abîme que nous portons en nous, où nous n'allons jamais, ce puits sans fond d'où montent des voix d'enfants et des étoiles, le cœur. Je suis au bord de tout comprendre. Cela m'arrive mille fois par jour. Au bord, pas plus - comme l'archéologue penché sur les miettes d'un papyrus, ou le tout-petit sur le visage de sa mère endormie, pure, très pure énigme du dieu qui s'absente. Les morts ne sont pas plus loin de nous que les vivants. Je voyage dans cette parole. Elle sert mes tempes, elle va durer trois heures, le temps du trajet.
Aller vers ceux qu'on aime, c'est toujours aller dans l'au-delà. »
Christian Bobin, Extrait de Pierre,
Aucun commentaire:
Publier un commentaire