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vendredi 1 avril 2016

Peinture magique III

«Et ceci fait, approchez-vous impassiblement du panneau dur et froid que je dresse.

[...]

Il y a des Sages, des fantômes, des satellites infernaux éclatant comme un pétard de fumée. Il y a les tribunaux de l'autre terre. souterraine, et les jeux secrets de celle-ci: l'homme vautré nu entre les jambes de la femme... Tout cela, ô Spectateurs exilés de ces décors, tout cela, non point palpitant et gesticulant parmi nous, mais à l'abri, très à l'abri sous le vernis froid et transparent de la couverte, ou bien adhérent à la mince lamelle vitreuse, et plus miroitant, alors, et plus cristallin... Tout cela dans un monde plat, poli, non rayable à l'acier trempé; un monde dur, un monde imputrescible, insoluble, éclatant: un monde de porcelaine. Suivez ces lignes sans épaisseur: touchez ces émaux sans profondeur: voyez ces faces sans cerveaux; glissez sur ces poitrines sans ressaut : baisez ces lèvres qui ne vous le rendront pas: ces cheveux qui ne se tressent pas; ces robes qu'on ne dépouille pas... Tout cela, fixé par le feu dans une éternelle blancheur et une éternelle transparence. C'est un monde vitrifié: la douleur et la joie cuites à grandes flammes, et refroidies...

Êtes-vous envieux de ce monde inaltérable ?»

Victor Segalen, Peintures

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