Rechercher sur ce blogue

dimanche 28 octobre 2018

La troisième vague

La troisième vague

L’invisibilité

« À notre époque qui regorge d’images et où ce qui ne se voit pas n´existe pas, Italo Calvino, dans Le Chevalier inexistant et dans son essai Six propositions pour le prochain millénaire, aborde avec lucidité le sujet. Calvino part de l’apparition des images que le ciel envoie à Dante comme autant de signes divins : l’imagination qui nous arrache du monde extérieur et nous installe dans le plus intime de l´être. Là, la parole acquiert une capacité iconique et l’écriture accorde, à l’expression visuelle, son imaginaire, et inversement, le visuel confère à la parole, cette capacité imaginative. Dans son traité sur la peinture, Léonard de Vinci dit : « La peinture est une poésie qui se voit au lieu d’être sentie, et la poésie est une peinture qui se sent au lieu d’être vue. » L’invisibilité, en revanche, est le chantier essentiel de l’art et de la poésie. Tout ce que les autres ne voient pas, l´artiste et le poète le révèlent, ce Chevalier inexistant qui n’existe que grâce à l´armure de son don, de ses vertus, de son originalité. Derrière le poète il peut y avoir un mauvais citoyen, un névrotique insupportable, un fasciste, un traître, un ennui mortel. Mais il y aura toujours l’armure de son œuvre poétique qui le rendra désirable. »

mercredi 24 octobre 2018

Les flammes blanches

Les flammes blanches

L'ici et l'ailleurs

« Partout où le regard pouvait suivre le ras du ciel dans les pierres, un prince a fait courir la muraille, qui, de ce fait, ne retient pas ce qu'il possédait, mais le visible. Un lieu et l'évidence ont été identifiés l'un à l'autre, l'ici et l'ailleurs ne s'opposent plus, et je ne puis douter que ce fut là l'ambition première puisque, n'embrassant que des pierres, de maigres arbres, quelques maisons, un fond de torrent, ce n'est pas la profusion vide des essences que ce trait de couleur légère cerne, comme l'enclos japonais, mais la présence, le fait du sol, dans son recourbement sur soi qui produit un lieu.. »

Yves Bonnefoy, Extrait de L'arrière-pays

mardi 23 octobre 2018

Aucune tête ne dépassera du troupeau

Aucune tête ne dépassera le troupeau

Les carrefours

« J'ai souvent éprouvé un sentiment d'inquiétude, à des carrefours. Il me semble dans ces moments qu'en ce lieu ou presque: là, à deux pas sur la voie que je n'ai pas prise et dont déjà je m'éloigne, oui, c'est là que s'ouvrait un pays d'essence plus haute, où j'aurais pu aller vivre et que désormais j'ai perdu. Pourtant, rien n'indiquait ni même suggérait, à l'instant du choix, qu'il me fallût m'engager sur cette autre route. »

Yves Bonnefoy, Extrait de L'arrière-pays

Contreforme

Contreforme

lundi 22 octobre 2018

Le plancher

« Je dis à mon petit-fils “Mets le temps de ton côté”, parce que le temps, on le considère trop souvent comme un plancher qui n’a pas été balayé, alors que c’est pourtant le plancher sur lequel nous sommes, le plancher sur lequel nous pouvons nous déplacer. Et c’est un plancher sur lequel nous avons quelques fois le droit d’être silencieux, sur lequel nous pouvons nous entourer de murs pour n’écouter que ce que peut nous inspirer le bruit de l’intérieur. »

Gilles Vigneault, Extrait de https://www.ledevoir.com/lire/539624/l-inebranlable-foi-en-l-autre-de-gilles-vigneault?fbclid=IwAR0yv2f0-mP14Dvt_G2AR9Oj51NPnbQ5jwYGU9yxFF_eENPi4En-XuThM3g

mercredi 17 octobre 2018

Tout change

« Tout change quand on regarde à deux un paysage, ce n'est pas tant qu'on se parle, qu'on commente, mais nous ouvrons à deux un paysage contemplatif, le paysage s'instaure en tiers avec nous. »

François Jullien, Extrait De l'intime

Quand ces choses commenceront

Quand ces choses commenceront

mardi 16 octobre 2018

Singulier

« Aussi ne défendrai-je pas une identité culturelle, française ou européenne, comme si l'on pouvait définir celle-ci par différence et la fixer dans son essence. Ou comme si l'on pouvait traiter la culture en termes d'appartenance. Comme si je la possédais « ma » culture. Mais je défends des fécondités culturelles françaises, européennes, telles qu'elles sont déployées en France, en Europe, par des écarts inventifs. Je les défends parce que je leur suis redevable pour mon éducation et que j'en suis par conséquent responsable, à la fois dans leur déploiement et leur transmission. Mais je ne les posséderai pas pour autant. Car ne voit-on pas que les plus attentifs à ces ressources ou fécondités sont si souvent des Étrangers ? - ceux-ci ne sont-ils pas souvent plus soucieux des ressources de la langue française et des corrections que tant de Français dits « natifs » ? Mais il est vrai, en même temps, qu'une culture naît et se développe toujours dans une certaine aire, en un certain milieu, comme l'a vu Nietzsche. Elle advient toujours localement, dans une proximité et dans une ambiance, celle-ci formant prégnance. Au travers donc du singulier - car seul le singulier est créatif. » 

François Jullien, Extrait de Il n'y a pas d'identité culturelle

Ciel Titane

Ciel Titane

On les déploie où on ne les déploie pas

« Je ne défendrai pas une identité culturelle française, impossible à identifier, mais des ressources culturelles française (européennes) - « défendre » signifiant alors non pas tant protéger que les exploiter. Car, s'il est entendu que de telles ressources naissent dans une langue comme au sein d'une tradition, en un certain milieu et dans un paysage, elles sont aussi disponibles à tous et n'appartiennent pas. Elles ne sont pas exclusives, comme le sont des  « valeurs »; elles ne se prônent pas. Mais on les déploie où on ne les déploie pas, et de cela chacun est responsable. » 

François Jullien, Extrait de Il n'y a pas d'identité culturelle

Les Feuilles Mortes

jeudi 11 octobre 2018

Trop exigeant et affamé

« Tu es bien trop exigeant et affamé pour ce monde simple et indolent, qui se satisfait de si peu. Il t'exècre ; tu as une dimension de trop. Celui qui désire vivre aujourd'hui en se sentant pleinement heureux n'a pas le droit d'être comme toi ou moi. Celui qui réclame de la musique et non des mélodies de pacotille ; de la joie et non des plaisirs passagers ; de l'âme et non de l'argent ; un travail véritable et non une agitation perpétuelle ; des passions véritables et non des passe-temps amusants, n'est pas chez lui dans ce monde ravissant ... »

Hermann Hesse, Extrait de Le loup des steppes

Rêver la mer

Rêver la mer

mercredi 10 octobre 2018

Banksy démasqué ?

« Voilà une de ces affaires dont les médias en raffolent, au point d’éclipser la Nuit Blanche : l’auto-destruction d’un tableau de Banksy, l’issue de sa vente chez Sotheby’s à Londres. « La petite fille avec un ballon rouge » (une reproduction d’un graff en peinture acrylique et aérosol) a glissé à l’intérieur de son cadre, découpée en lambeaux par une déchiqueteuse cachée dans la moulure inférieure. Stupeur et tremblement du public, coup de maître ou coup de pub ?

Banksy, graffeur et peintre de Bristol, garde son identité jalousement secrète, il doit cependant, d’après les observateurs, disposer d’une équipe capable d’œuvrer aux 4 coins des rues du globe, grâce à ses pochoirs. Mais on découvre que sa troupe doit s’élargir à Sotheby’s. Comment imaginer qu’une des plus grandes salles des ventes n’ait pas examiné une œuvre appelée à une enchère record (1,042 million de livres, soit près de 1,2 million d’euros ! )? Sotheby’s, qui a déclaré « s’être fait banksée », ne s’est donc pas aperçu qu’il y avait une fente au bas d’un cadre, dont le poids était inégalement réparti, suite au mécanisme caché à l’intérieur ? Soit Sotheby’s est incompétente, soit elle est complice.

Banksy a revendiqué le truquage de l’œuvre, il y a des années : ah, s’il pouvait nous donner la marque de ses piles super endurantes ! Un complice (Bansky n’a peut-être pas pris le risque d’être présent) a pu déclencher le piège par télécommande, et d’autres filmer, mais si on pose que Sotheby’s est de mèche, il y a fort à parier que l’acheteur est aussi un comparse ! Sinon Sotheby’s aurait trompé un client. On voit l’avantage du montage : l’acheteur fait monter les prix de manière vertigineuse jusqu’à une cote record pour l’artiste, mais l’opération sera blanche car l’acquéreur peut refuser, in fine, une œuvre détériorée… Sotheby’s et Banksy s’offrent un coup de com planétaire sans grands risques.

Bansky, très présent sur le net, a justifié son acte par cette citation “The urge to destroy is also a creative urge” autrement dit, il invoque un truisme de l’AC : la destruction est aussi une forme de création. La phrase est attribuée à Picasso, mais elle viendrait de l’anarchiste Bakounine. Les oeuvres de Banksy sont souvent vandalisées, ce qui provoque l’apitoiement des bonnes âmes, or voilà la victime qui s’auto-vandalise ! En réalité, l’œuvre a changé de statut, de peinture, elle est devenue « performance », par le biais d’une « installation » cachée en ces flancs, le tout filmé en « vidéo », bref, elle cumule les principaux genres chéris de l’AC. On ne s’étonnera donc pas qu’il se dise que le prix de l’œuvre a, au moins, déjà doublé ! Ne serait-il pas naïf de croire que Banksy est victime d’un système qui réussit à recycler et intégrer ce qui est présenté comme « une critique radicale du système » ?

Les thuriféraires crient au génie d’un Banksy « piégeant une grande maison de vente » avec « une œuvre révélatrice d’un monde auto-destructeur… » ; «la plupart de ses performances sont une satire du marché de l’art, dont il dénonce la marchandisation.», Alors, Banksy pratique ce qu’il dénonce, comme n’importe quel artiste d’AC. Le rebelle du système passe à la caisse. A vous de choisir, entre un artiste, Robin des rues, « virtuose d’art urbain ironique et engagé » ou un Banksy rebelle en peau de lapin, profiteur des grandes questions du temps : sa petite fille à la mine chagrin, peinte « courageusement », en 2018, à la porte du Bataclan, n’est-elle pas, à la lumière des récents événements, à rapprocher de l’indécent bouquet de Koons ?

Mais déjà, Christie’s, la concurrente de Sotheby’s, annonce un nouveau “coup”… à suivre. »

vendredi 5 octobre 2018

En création


Entrée de la vie: l'autre écriture

« Vint la vie: une humidité sophistiquée, promise à un destin inextricable; et chargée de secrète vertus, capable de défis, de fécondité. Je ne sais quelle glu précaire, quelle moisissure de surface, où déjà s'enfièvre un ferment. Turbulente, spasmodique, une sève, un présage et attente d'une nouvelle manière d'être, qui rompt avec la perpétuité minérale, qui ose l'échanger contre le privilège ambigu de frémir, de pourrir, de pulluer. »

Roger Caillois, Extrait de Pierres