« Les deux faces de l'agate sont également polies et du même bleu nocturne. Elles offrent un miroir identique, chargé de présages et d'invectives. Entre elles, qui semble en garantir la terrible promesse, l'eau cachée des origines dont on voit l'ombre se déplacer et dont l'oreille entend le clapotis. Je crois que nul ne reste insensible à l'émotion qu'engendre pareille présence. Ce vase le plus clos jamais ne fut ouvert. Il ne fut même pas soudé à sa naissance, comme ampoule de verre. Un vide s'y creusa de lui-même au cœur de la masse. Nul ni nulle force n'y fit pénétrer le fluide incorruptible qu'il contient et qui, depuis lors, demeure impuissant à s'en échapper comme à s'y dessécher.
Le vivant qui le regarde comprend qu'il n'est, pour sa part, ni si durable ni si ferme. Ni si agile ni si pur. Il se connaît sans joie à l'extrémité d'un autre empire, et soudain si étranger à l'univers : un intrus hébété. Je ne devine que trop, par obsession personnelle, quelles méditations, du moins quelles rêveries vagues, un passager du monde peut commencer de dévider à partir de ces cailloux hantés d'une liqueur, un peu d'eau géologique restée prisonnière dans la poche transparente d'une pierre hermétique. »
Roger Caillois, Extrait de Pierres
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