« Or voici: dans la salle Sainte-Hélène, geôle de la psychiatrie, qui précédait immédiatement Sainte-Agathe aux confins du pavillon Sainte-Marie, il y avait une mutique qui restait dans son cabanon. Internée toute jeune, à quinze ans, elle eut la permission de revenir à la maison et prévint que si on la retournait à Saint-Jean-de-Dieu, jamais plus elle ne parlerait. Sa mère l'y retourna: depuis vingt-huit ans, elle n'a pas dit un seul mot. En 1970, en même temps que moi, s'amènent à Longue-Pointe Philippe et Edmée Koechlin, apôtres de la douceur, ennemis de toute contrainte, champions libérateurs. Ils prennent charge de Sainte-Hélène et consacreront une année à ses dix-sept recluses, dont Céline, la mutique, qui les intéresse tout particulièrement. Ils s'insinuent auprès d'elle, tous les moyens sont bons: ils jouent au papa et à la maman psychiatres. Chaque jour Philippe s'assoit auprès d'elle, lui parlant sans la toucher, tandis qu'Edmée lui tient la main. Ces gens saugrenus, ahurissants, aux-quels Céline ne s'attendait pas, venus spécialement pour elle de France, lui expliquant qu'« ils l'aiment comme l'une de leurs filles ». Et ils l'amènent se promener en auto. Comment Céline, après sa longue ténèbre, toute éblouie par la lumière, n'aurait-elle pas parlé? Elle parla, mettant fin à son mutisme de vingt-huit ans qui faisait toute sa grandeur. Elle se rendit compte de sa perte quand ses parents impromptus, tout fiers d'eux-mêmes, rentrèrent en France pour y céllébrer leur exploit dans un livre paru chez Maspero en 1973, Corridors de sécurité. Céline dira de Philippe Koechlin qu'il « avait une maudite face de serpent » et qu'ils étaient tous deux « des voleurs d'âme ».
Ils l'étaient, en effet, puisque sous des prétextes humanitaires ils avaient abusé d'elle pour la dépouiller du prodigieux silence dans lequel, démunie de tout, dans le plus grand désarroi, elle avait investi tout son coeur, toute son âme. C'est par le silence de Céline que j'ai appris ce que Mariette avait à me dire avec ses mots hachés menus sur une plainte trachérale, qu'on lui avait arraché la voix comme une dent avec un davier sanglant. Eût-elle réappris à parler, elle se fut avilie à des futilités, devenant une petite vieille quelconque. Au travers de ses supplices, elle, acquis une irremplaçable grandeur. La voix d'égorgée restait sans remède. Mariette avait atteint une sorte d'absolu devant lequel on n'a plus rien d'autre à faire qu'à s'incliner humblement. »
Jacques Ferron, Extrait de La conférence inachevée, Le pas de Gamelin
sacrément dérangeant. J'ai été lire les premières pages de "corridor..." Je voulais ne pas rester sur ton texte qui condamne poétiquement la démarche des deux médecins. J'ai facilement trouvé "corridor" "Conférence" est pour l'instant moins facile. J'ai l'idée si le temps me le permet lire les deux pour enrichir ma pensée spontanée. Briser un voeu de silence est terrible et impensable dans d'autres environnement. Mais la motivation de ce voeu peut remettre en cause ce que j'ai écrit avant? Ce voeu est maladif ou? et? sublime? Tu as vu dans quel état je fini 2018. Autre question, ma douce se réveillera-t'elle assez tôt pour acheter les huîtres? Je passe cette fin d'année en tête à tête avec celle que j'ai rencontrée. Mon égoïsme me souhaite que du bonheur. Pareil pour toi et à bientôt sur les ondes digitales.
RépondreEffacerParfois ce qui a été fait au nom de la médecine, laisse souvent perplexe. Ferron qui était médecin, s'est beaucoup questionné sur les pratiques de la médecine et de la psychiatrie. Derrière les glorioles de plusieurs, on pourrait relever plusieurs horreurs qui sont passés sous silence. Les avancés se sont faits sur le dos de plusieurs reculs.
EffacerProfites bien des bonheurs qui s'offrent et qu'ils durent pour la prochaine année.