« J’ai écrit l’histoire de l’amant de la Chine du Nord et de l’enfant : elle n’était pas encore là dans L’amant, le temps manquait autour d’eux[5]. » C’est ainsi qu’à la page liminaire de L’amant de la Chine du Nord, Marguerite Duras parle de ce livre qui, sept ans après la parution de L’amant, raconte encore une fois « l’amour entre le Chinois et l’enfant ». Pourtant ce n’est déjà plus la même histoire ou, selon l’écrivain, l’histoire n’avait même pas existé dans L’amant, parce qu’il « manquait » du « temps ». On se demande alors quel est ce « temps » qui « manquait », qui fait que l’histoire tarde à émerger et qu’elle puisse enfin (re)naître dans un autre récit, après des années. Est-ce le temps « après coup », « après » l’événement ? le temps qui a passé depuis ? c’est-à-dire le temps qui dépose, qui décante ? qui donne du recul, de la distance ? est-ce, donc, le temps de l’oubli ? le temps du revenir, du souvenir, de la mémoire ? de la remémoration ? est-ce à dire que, pour narrer, pour que cela fasse histoire, il faut que du temps soit passé ? il faut du délai, de l’attente, de la patience — de la souffrance ? que la narration est donc un acte différé ? donc toujours déjà anamnèse, recherche, reconstitution, reprise… ? est-ce, enfin, la séparation, la mort ? le temps de mourir ? puisque c’est finalement la mort qui déclenche l’écriture ? Mais tout cela revient à dire que l’écriture est travail de mémoire, que narrer / écrire ce serait faire le deuil de l’événement et tisser une mémoire : un texte-mémoire, qui est aussi texte de deuil, tissu de deuil.
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