Un « paysage » : ses cimes et ses ravins, ses roches et ses forêts, ses brouillards montant des vallons et ses torrents; ou bien des bras d’eau immenses, quelques îlots qu’on entrevoit vaguement et des saules, sur la rive, laissant transparaître le passage du vent. Comment ces paysages, eux qu’a tant peint en Chine le pinceau des Lettrés, « porteraient »-ils en eux, (…), l’infini de l’esprit ? Car il y a bien cette physicalité massive, ces flancs larges d’assise, ces rochers pesants, ces troncs rugueux; mais ce sont là autant d’actualisation d’une énergie qui tantôt se densifie, se durcit, s’opacifie; et tantôt se dilue, se diffuse et devient expansive. Cette matérialité n’est pas inerte, mais elle laisse apparaître la poussée qui la fait advenir. Les moindres contrastes créent en eux de l’échange : ils tendent cette matérialité et la rendent active. Que signifierait donc l’ « esprit d’un paysage », dés lors qu’il ne s’agit plus seulement, par projection et métaphorisation faciles, comme on en a pris l’habitude en Europe, de transposer dans les choses, qui ne seraient que des « choses », l’état d’esprit d’un sujet – lui seul leur « prêtant » la vie ?
François Jullien, Cette étrange idée du beau
Aucun commentaire:
Publier un commentaire