Rechercher sur ce blogue

mercredi 16 janvier 2019

Du malheur seul je me sens solidaire

Je suis entré à la place du fauve dans la cage,
ai gravé mon terme et mon surnom au clou sur le bat-flanc,
vécu au bord de l'eau, joué à la roulette,
dîné avec le diable seul sait qui, en habit.
Du sommet d'un glacier j'ai contemplé le monde,
par trois fois j'ai coulé, deux fois on m'a ouvert.
Le pays qui m'avait nourri, je l'ai lâché.
Ceux qui m'ont oublié formeraient une ville.
J'ai parcouru la steppe pleine encore de la clameur du Hun,
porté ce qui est de nouveau à la mode,
semé le seigle, couvert de tôle noire l'aire à battre,
ne me suis abstenu que d'eau sèche.
Mes rêves font sa place à l'œil noir d'acier des gardiens,
j'ai dévoré le pain d'exil avec la croûte,
permis tous les sons à ma gorge, sauf le hurlement,
en suis venu au murmure. Maintenant j'ai quarante ans.
Qu'ai je à dire de la vie? Qu'elle fut longue.
Du malheur seul je me sens solidaire.
Mais tant qu'on ne m'a pas de terre comblé la bouche,
il n'en sortira que de la gratitude.
Joseph Brodsky, Extrait de Vertumne

Aucun commentaire:

Publier un commentaire