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dimanche 8 novembre 2020
dimanche 9 août 2020
Les versions
« Il avait la conviction que, même lorsqu'il le désirait, l'homme était incapable de dire la vérité, aussi la première version d'une histoire racontée n'avait-elle d'autre portée que celle-ci : "Il s'est peut-être passé quelque chose..." Pour connaître précisément l'histoire, il fallait, pensait-il, faire l'effort d'écouter chaque nouvelle version jusqu'à ce qu'il n'y ait plus qu'à attendre que la vérité à un moment - comme ça tout d'un coup - se révèle. À ce moment-là, les détails de l'histoire apparaissaient et ainsi - avec un effet rétroactif - il devenait possible de remettre dans l'ordre les éléments de la première version. »
László Krasznahorkai, Extrait de Tango de Satan
samedi 8 août 2020
mercredi 29 juillet 2020
Le désert
« On ne se défait d’un puritanisme, dans le monde moderne, que pour tomber dans un autre. Ce n’est plus de la sexualité qu’on veut priver les hommes, mais de quelque chose dont ils ont plus besoin encore, le sens. L’homme ne vit pas seulement de pain et de sexualité. La pensée actuelle, c’est la castration suprême, puisque c’est la castration du signifié. Tout le monde est là à surveiller son voisin pour le surprendre en flagrant délit de croyance en quoi que ce soit ; nous n’avons lutté contre les puritanismes de nos pères que pour tomber dans un puritanisme bien pire que le leur, le puritanisme de la signification qui tue tout ce qu’il touche autour de lui ; il dessèche tous les textes, il répand partout l’ennui le plus morne au sein même de l’inouï. Derrière son apparence faussement sereine et désinvolte, c’est le désert qu’il propage autour de lui. »
René Girard, Extrait de Des choses cachées depuis la fondation du monde
dimanche 19 juillet 2020
mardi 23 juin 2020
Les couleurs solaires
« Les couleurs solaires, le sang et l’or, colère et richesse, où est-ce passé ? Du monde, pour un temps, lions et taureaux s’absentent, sans qu’il en paraisse affaibli. Plus de conquêtes, sinon pour le seul regard ! Et le bleu n’est plus une matière, c’est une distance et un songe. Et le vert qui persiste dans le lierre et l’yeuse se couvre de cendre ou d’ombre, comme une pensée qui veut se garder secrète, et s’adjoindre la mort pour mieux durer. »
Philippe Jaccottet, Extrait de Paysages avec figures absentes
jeudi 7 mai 2020
mardi 5 mai 2020
Comment nous entrons dedans
« Car ces choses, ce paysage, ne se costument jamais ; les images ne doivent pas se substituer aux choses, mais montrer comment elles s’ouvrent, et comment nous entrons dedans. Leur tâche est délicate. »
Philippe Jaccottet, Extrait de Paysages avec figures absentes
vendredi 1 mai 2020
lundi 6 avril 2020
Main d'oeuvre
La main saigne au cœur du faire
la main traverse l'épreuve
la main signe à l'encre noire
et creuse sa ligne de vie
sur le cuir verni.
Main de gloire couronnée d'agates
main de taille et de coupe
main de cisaille et de burin
main de berceau
main de plomb pour suivre l’œil vif
main pour prendre et donner à voir
main de pierre calcaire où s'inscrit la mémoire
main forte d'ombres et d'éclairs
main à la roue libre
main à l'étoile (...)
Roland Giguère
jeudi 2 avril 2020
lundi 30 mars 2020
Et si demeure
Et si demeure
Autre chose qu'un vent, un récif, une mer,
Je sais que tu seras, même de nuit,
L'ancre jetée, les pas titubant sur le sable,
Et le bois qu'on rassemble, et l'étincelle
Sous les branches mouillées, et, dans l'inquiète
Attente de la flamme qui hésite,
La première parole après le long silence,
Le premier feu à prendre au bas du monde mort.
Yves Bonnefoy, Extrait de Les planches courbes
dimanche 29 mars 2020
À la verticale
« Je voudrais te dire qu'il n'est pas besoin de savoir pour comprendre, qu'un instinct nous indique plein de vies parallèles qui se propulsent en nous, qui nous prolongent à la verticale, à chaque instant une pensée va puiser hors de tout doute dans un temps aboli où s'apprêtent les parfums, les couleurs et les rythmes. Ce n'est pas du mysticisme, c'est de l'amour. »
Marie Uguay, Extrait de Journal
mardi 17 mars 2020
Un beau calme
« La porte fermée aux hurlements, face au feu intérieur, la solitude vient, lisse et ronde comme un galet.
Le soleil entre.
La mer roule ses vagues sur le tapis. Un coquillage tombe du miroir et c'est une île heureuse qui apparaît avec son collier de corail bleu. Sur le rivage, l'ample démarche des femmes qui attendent le sel du jour. Le silence prend le large, large et profond silence. Le cœur tangue et bat la vague. La main gouverne, gouverne et repose. Tout repose. »
Roland Giguère, Extrait de La Main au feu
samedi 14 mars 2020
À la santé des volcans
« Peut-être aussi les volcans viendront-ils nous enseigner à brûler les remparts qui nous cernent et la lave ouvrir la brèche que nous n'aurons pas su ouvrir au jour désigné; mais s'il faut attendre l'éruption, ce sera alors à nos propres risques et, dans ce cas, mieux vaut pour nous la provoquer et s'en rendre maître dès sa naissance. À nous d'ouvrir le feu! C'est alors que nous désignerons aux flots déchirant de la lave les chemins qu'ils doivent prendre et que nous aurons eu le temps de creuser, à la forme de nos désirs. La lave ira où nous voulons qu'elle aille, nous la ferons descendre dans la nuit opaque qui aveugle nos actions, et, quand tout sera fini, cristallisé, refroidi, il n'y aura pas de ruines mais de magnifiques dessins de feu durci qui porteront l'empreinte de l'homme libre. »
Roland Giguère, Extrait de La Main au feu
mardi 28 janvier 2020
Les lieux affirmés
« Et chaque fois que je perçois cet orgueil, soit triomphant dans la facilité de la pierre, soit combattu et comme courbé dans les voûtements du pisé après des lieues et des lieues de pierrailles et de sel ; partout où l'on a voulu un surcroît de mur, orner une façade, surélever des terrasses, y paraître, faire entendre au soleil levant, ou couchant une musique de la dissolution du moi illusoire mais sur des assises de roc, et dans l'architecture qui est la permanence vécue, en tous ces lieux affirmés, oui, je me sens chez moi, à l'instant même où j'aspire à l'insitué qui les nie. »
Yves Bonnefoy, Extrait de L'arrière-pays
mardi 14 janvier 2020
Accepter l'invisibilité
« Tout est récupérable, à partir du moment où l'on se met à désirer un maximum de visibilité. Il faut accepter l'invisibilité. La bataille pour la force des choses invisibles, l'emporte sur le caractère spectaculaire, donc, tant que nous serons tous d'accord pour faire à notre place ce qu'il est indispensable de faire en tenu, en dignité et en résistance, sans se demander si on a été bien vu, repéré, interviewé, photographié ou mis en scène pour témoigner de la grandeur de nos actions, je pense que l'on a des chances de gagner. Si dans les forces saxifrages, qui existent, certains se laissent tenter par la mise en scène, la théâtralisation spectaculaire télévisuelle ou médiatique de la noblesse de leurs combats, tant pis pour eux, ils seront perdus pour nous. »
Marie-José Mondzain, Extrait de Comment réhabiliter la radicalité ? - Marie José Mondzain (2017, France Culture)
lundi 13 janvier 2020
dimanche 12 janvier 2020
vendredi 10 janvier 2020
Les morts ne sont pas plus loin de nous que les vivants
« Les morts ne sont pas plus loin de nous que les vivants. Le train de nuit perfore cette pensée. Elle tend ses vitres d'un velours noir. Je vais vers toi. Il fait froid. Le cœur est ce feu qui maintient les loups hors du cercle de notre vie. Je ne sais si je pourrai voir ton visage au terme de ce voyage. C'est égal. Ton visage est en moi, résumé par deux yeux étonnés dans le brouillard du monde. Les morts ne sont pas plus loin de nous que les vivants. J'aime cette pensée inconnue venue vers moi avec son écharpe de froid. Ce que j'appelle penser, c'est être appelé, convoqué soudain par une parole qui ne se forme ni dans le cerveau ni dans la bouche, mais dans cet abîme que nous portons en nous, où nous n'allons jamais, ce puits sans fond d'où montent des voix d'enfants et des étoiles, le cœur. Je suis au bord de tout comprendre. Cela m'arrive mille fois par jour. Au bord, pas plus - comme l'archéologue penché sur les miettes d'un papyrus, ou le tout-petit sur le visage de sa mère endormie, pure, très pure énigme du dieu qui s'absente. Les morts ne sont pas plus loin de nous que les vivants. Je voyage dans cette parole. Elle sert mes tempes, elle va durer trois heures, le temps du trajet.
Aller vers ceux qu'on aime, c'est toujours aller dans l'au-delà. »
Christian Bobin, Extrait de Pierre,
jeudi 9 janvier 2020
La neige
« J'ai pour amie principale la neige. Elle me rend visite deux ou trois fois l'an. Elle a d'autres noms que le mien dans son carnet d'adresses. Je ne suis pas jaloux - la neige est l'amante parfaite. J'ai toujours reçu l'amour qu'on m'adressait comme ne s'adressant pas à moi mais à bien plus. La flèche ignore l'air qu'elle fend. Tout amour file vers Dieu, que celui-ci existe ou non. »
Christian Bobin, Extrait de Pierre,
vendredi 3 janvier 2020
Je me moque de la peinture
« Je me moque de la peinture. Je me moque de la musique. Je me moque de la poésie. Je me moque de tout ce qui appartient à un genre et lentement s'étiole dans cette appartenance. Il m'aura fallu plus de soixante ans pour savoir ce que je cherchais en écrivant, en lisant, en tombant amoureux, en m'arrêtant net devant un liseron, un silex ou un soleil couchant. Je cherche le surgissement d'une présence, l'excès du réel qui ruine toutes les définitions. Bach est plus qu'un musicien. Soulages est plus qu'un peintre. Rimbaud n'est poète que secondairement, comme les cendres qui retombent en papillons du volcan — ses poèmes. Je reconnais dans ces insensés ce qu'apprend avec effroi le nouveau-né, chaque fois que le visage de sa mère lui réapparaît, crevant la toile de l'air comme le lion le cercle de feu: il y a une réalité infiniment plus grande que toute réalité, qui froisse et broie et enflamme toutes les apparences. Il y a une présence qui a traversé les enfers avant de nous atteindre pour nous combler en nous tuant. »
Christian Bobin, Extrait de Pierre,
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