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samedi 30 août 2014

Symbolisme du tissage (partie II)

Pour bien comprendre la signification de ce symbolisme, il faut remarquer tout d’abord que la chaîne, formée de fils tendus sur le métier, représente l’élément immuable et principiel, tandis que les fils de la trame, passant entre ceux de la chaîne par le va-et-vient de la navette, représentent l’élément variable et contingent, c’est-à-dire les applications du principe à telles ou telles conditions particulières. D’autre part, si l’on considère un fil de la chaîne et un fil de la trame, on s’aperçoit immédiatement que leur réunion forme la croix, dont ils sont respectivement la ligne verticale et la ligne horizontale ; et tout point du tissu, étant ainsi le point de rencontre de deux fils perpendiculaires entre eux, est par là même le centre d’une telle croix.

Or, suivant ce que nous avons vu quant au symbolisme général de la croix, la ligne verticale représente ce qui unit entre eux tous les états d’un être ou tous les degrés de l’Existence, en reliant leurs points correspondants, tandis que la ligne horizontale représente le développement d’un de ces états ou de ces degrés. Si l’on rapporte ceci à ce que nous indiquions tout à l’heure, on peut dire, comme nous l’avons fait précédemment, que le sens horizontal figurera par exemple l’état humain, et le sens vertical ce qui est transcendant par rapport à cet état ; ce caractère transcendant est bien celui de la Shruti, qui est essentiellement « non-humaine », tandis que laSmriti comporte les applications à l’ordre humain et est le produit de l’exercice des facultés spécifiquement humaines.

Nous pouvons ajouter ici une autre remarque qui fera encore ressortir la concordance de divers symbolismes, plus étroitement liés entre eux qu’on ne pourrait le supposer tout d’abord : nous voulons parler de l’aspect sous lequel la croix symbolise l’union des complémentaires. Nous avons vu que, sous cet aspect, la ligne verticale représente le principe actif ou masculin (Purusha), et la ligne horizontale le principe passif ou féminin (Prakriti), toute manifestation étant produite par l’influence « non-agissante » du premier sur le second. Or, d’un autre côté, la Shruti est assimilée à la lumière directe, figurée par le soleil, et la Smriti à la lumière réfléchie (1), figurée par la lune ; mais, en même temps, le soleil et la lune, dans presque toutes les traditions, symbolisent aussi respectivement le principe masculin et le principe féminin de la manifestation universelle.

1 — Le double sens du mot « réflexion » est ici très digne de remarque.

René Guénon, Le symbolisme de la Croix, Chapitre XIV : Le symbolisme du tissage

Évagations lacustres


Le symbolisme du tissage (partie I)

Ainsi, en sanscrit, sûtra signifie proprement « fil » (1) : un livre peut être formé par un ensemble de sûtras, comme un tissu est formé par un assemblage de fils ; tantra a aussi le sens de « fil » et celle de « tissu », et désigne plus spécialement la « chaîne » d’un tissu (2). De même, en chinois, king est la « chaîne » d’une étoffe, et wei est sa « trame » ; le premier de ces deux mots désigne en même temps un livre fondamental, et le second désigne ses commentaires (3). Cette distinction de la « chaîne » et de la « trame » dans l’ensemble des écritures traditionnelles correspond, suivant la terminologie hindoue, à celle de Shruti, qui est le fruit de l’inspiration directe, et de la Smriti, qui est le produit de la réflexion s’exerçant sur les données de la Shruti (4).

1 — Ce mot est identique au latin sutura, la même racine, avec le sens de « coudre », se trouvant également dans les deux langues. — Il est au moins curieux de constater que le mot arabe sûrat, qui désigne les chapitres du Qorân, est composé exactement des mêmes éléments que le sanscrit sûtra ; ce mot a, d’ailleurs, le sens voisin de « rang » ou « rangée », et sa dérivation est inconnue.

2 — La racine tan de ce mot exprime en premier l’idée d’extension.

3 — Au symbolisme du tissage se rattache aussi l’usage des cordelettes nouées, qui tenaient lieu d’écriture en Chine à une époque fort reculée ; ces cordelettes étaient du même genre que celles que les anciens Péruviens employaient également et auxquelles ils donnaient le nom de quipos. Bien qu’on ait parfois prétendu que ces dernières ne servaient qu’à compter, il paraît bien qu’elles exprimaient aussi des idées beaucoup plus complexes, d’autant plus qu’il est dit qu’elles constituaient les « annales de l’empire », et que, d’ailleurs, les Péruviens n’ont jamais eu aucun autre procédé d’écriture, alors qu’ils possédaient une langue très parfaite et très raffinée ; cette sorte d’idéographie était rendue possible par de multiples combinaisons dans lesquelles l’emploi de fils de couleurs différentes joue un rôle important.

4 — Voir L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. Ier, et aussi Autorité spirituelle et pouvoir temporel, ch.VIII.

René Guénon, Le symbolisme de la Croix, Chapitre XIV : Le symbolisme du tissage

Conception du désir

Désir mimétique

En observant les hommes autour de nous, on s'aperçoit vite que le désir mimétique, ou imitation désirante, domine aussi bien nos gestes les plus infimes que l'essentiel de nos vies, le choix d'une épouse, celui d'une carrière, le sens que nous donnons à l'existence.

Ce qu'on nomme désir ou passion n'est pas mimétique, imitatif accidentellement ou de temps à autre, mais tout le temps. Loin d'être ce qu'il y a de plus nôtre, notre désir vient d'autrui. Il est éminemment social... L'imitation joue un rôle important chez les mammifères supérieurs, notamment chez nos plus proches parents, les grands singes ; elle se fait plus puissante encore chez les hommes et c'est la raison principale pour laquelle nous sommes plus intelligents et aussi plus combatifs, plus violents que tous les mammifères.

L'imitation, c'est l'intelligence humaine dans ce qu'elle a de plus dynamique ; c'est ce qui dépasse l'animalité, donc, mais c'est ce qui nous fait perdre l'équilibre animal et peut nous faire tomber très au-dessous de ceux qu'on appelait naguère « nos frères inférieurs ». Dès que nous désirons ce que désire un modèle assez proche de nous dans le temps et dans l'espace, pour que l'objet convoité par lui passe à notre portée, nous nous efforçons de lui enlever cet objet et la rivalité entre lui et nous est inévitable.

C'est la rivalité mimétique. Elle peut atteindre un niveau d'intensité extraordinaire. Elle est responsable de la fréquence et de l'intensité des conflits humains, mais chose étrange, personne ne parle jamais d'elle. Elle fait tout pour se dissimuler, même aux yeux des principaux intéressés, et généralement elle réussit.

René Girard, Celui par qui le scandale arrive

L'année du poisson


Les mythes

« Les mythes débutent presque toujours par un état de désordre extrême. [...] Toujours et partout on peut résumer la situation initiale en termes d'une crise qui fait peser sur la communauté et son système culturel une menace de destruction orale.

Cette crise est presque toujours résolue par la violence et celle-ci même si elle n'est pas collective a des résonances collectives. [...]

Au paroxysme de la crise, la violence unanime se déclenche. Dans beaucoup de mythes qui nous paraissent les plus archaïques et qui, à mon avis, le sont effectivement, l'unanimité violente se présente comme une ruée en masse plus suggérée que vraiment décrite et qui se retrouve, très évidente, manifeste, dans les rituels. Ceux-ci visiblement reproduisent, nous soupçonnons déjà pourquoi, la violence unanime et réconciliatrice du mécanisme victimaire.

Le protagoniste dans les mythes archaïques, c'est la communauté entière transformée en foule violente. Se croyant menacée par un individu isolé, fréquemment un étranger, elle massacre spontanément le visiteur. On retrouve ce type de violence en pleine Grèce classique, dans le culte sinistre de Dionysos. Les agresseurs se précipitent comme un seul homme sur leur victime. L'hystérie collective est telle qu'ils se conduisent, littéralement, comme avidement les lourdes volutes blanches qui s'élevaient aussitôt comme un seul homme sur leur victime, comme des bêtes de proie. Ils réussissent à déchirer cette victime, ils la déchiquettent littéralement avec leurs mains, avec leurs ongles, avec leurs dents comme si la colère ou la peur décuplait leur force physique. Parfois, ils dévorent le cadavre. Pour désigner cette violence soudaine, convulsive, ce pur phénomène de foule, la langue française n’a pas de terme propre. Le mot qui nous monte aux lèvres est un américanisme, lynchage. »

René Girard, Je vois Satan tomber comme l’éclair

mardi 26 août 2014

Biocentrisme

Le scientifique nord-américain de la Wake Forest School of Medicine de Caroline du Nord, Roberto Lanza, affirme détenir des preuves définitives qui démontrent que la vie après la mort existe bel et bien. Lanza estime, en outre, que la mort, d’une certaine manière, n’existe pas telle que nous la concevons.

Après la mort de son vieil ami Michel Besso, Albert Einstein dit : « Voilà qu’il m’a précédé de peu, en quittant ce monde étrange. Cela ne signifie rien. Pour nous, physiciens dans l’âme, cette séparation entre passé, présent et avenir, ne garde que la valeur d’une illusion, si tenace soit-elle ». De nouvelles preuves suggèrent qu’Einstein avait raison, déclare Roberto Lanza dans un billet publié sur son site et cité par le quotidien britannique The Independent.

Pour Roberto Lanza, il existe bien une vie après la mort et les preuves se trouvent dans la physique quantique, principalement dans le biocentrisme. Selon le scientifique, le concept de mort n’est que le simple fruit de notre conscience. « La mort n’est qu’une illusion ». « Nous croyons à la mort parce que l’on nous a appris que nous mourions ». Pour le biocentrisme, l’univers existe seulement parce que l’individu a conscience de celui-ci - la vie et la biologie sont au cœur de cette réalité – et crée à son tour cet univers. L’univers en lui-même ne crée pas la vie. Cette théorie s’applique également aux concepts de temps et d’espace qui sont, selon Lanza, « tout simplement des instruments de notre imagination ».

Le concept de mort tel que nous le connaissons ne peut exister dans un sens réel et il n’y a pas de véritables frontières pour définir celui-ci. « L’idée de mort n’existe que dans nos esprits et nous y croyons parce que nous l’associons a notre corps physique et que nous savons que celui-ci est amené à disparaître », estime Lanza. Le biocentrisme, pour Lanza, se rapproche de la théorie, développée par la physique théorique, selon laquelle il existe plusieurs univers parallèles. Ainsi, tout ce qui pourrait avoir lieu maintenant est supposé se produire en même temps au sein de multiples univers, explique Lanza. Une fois que nous commençons à remettre en question nos concepts du temps et de la conscience, les alternatives sont énormes et celles-ci pourraient altérer la vision du monde que nous avons depuis le 15e siècle.

Pour illustrer sa théorie, Lanza a recours à l’expérience physique des fentes de Young. Cette expérience fut réalisée pour la première fois par Thomas Young en 1801. Elle illustre la dualité onde-particule et prouve que le comportement d’une particule peut être modifié par la perception qu’une personne a de lui. Les interférences montrent que la matière présente un comportement ondulatoire, mais la façon dont elles sont détectées montre son comportement particulaire. En d’autres mots, lorsque les scientifiques observent la manière dont une particule passe à travers deux fentes, celle-ci agit comme une balle qui traverse une fente unique, dans l’une ou dans l’autre. Lorsqu’il n’y a pas d’observation, la particule peut passer à travers deux fentes en même temps. Les scientifiques estiment que l’expérience des fentes de Young prouve que les particules peuvent agir comme deux entités distinctes dans le même temps, ce qui permet de contester les idées acceptées de longue date relative au temps et à la perception. « Comment une particule peut-elle changer son comportement selon qu’on la regarde ou pas ? », s’interroge Lanza. « La réponse est simple : la réalité est un processus qui implique votre conscience ».

« Le ciel que nous observons est bleu mais les cellules de notre cerveau pourraient être modifiées de façon à ce que le ciel soit perçu comme vert ou rouge. Avec un peu de génie génétique, nous pourrions probablement faire en sorte que tout ce qui est rouge vibre ou fasse du bruit. Vous pensez que le ciel est clair mais si les circuits de votre cerveau sont modifiés, il pourrait apparaître sombre. Bref, ce que vous voyez maintenant ne pourrait être présent sans votre conscience », explique encore le scientifique.

Comment cette théorie peut-elle affecter la vie après la mort ? Robert Lanza précise : « Lorsque nous mourrons, notre vie devient une fleur vivace qui recommence à fleurir dans le multivers (ensemble de tous les univers possibles). La vie est une aventure qui transcende notre façon de penser linéaire. Lorsque nous mourrons, cela ne se produit pas dans une matrice aléatoire telle une boule de billard mais au sein de la matrice incontournable de la vie ».

« Il existe un nombre infini d'univers et tout ce qui pourrait arriver se produit dans un univers. La mort n'existe pas au sens réel dans ces scénarios. Tous les univers possibles existent simultanément, indépendamment de ce qui se passe dans l'un d'eux ». « La mort n’existe pas dans un espace spatio-temporel. L’immortalité ne signifie pas une existence perpétuelle dans le temps mais réside entièrement hors du temps », expliquait en 2011 Roberto Lanza dans la revue Psychology Today.

Siesta


lundi 25 août 2014

The Animate and the Inanimate

"Our previous consideration on the production of radiant energy from the stars indicates that such production of radiant energy is only possible where the second law of thermodynamics is followed, that is, in a positive section of the universe. In a negative section of the universe the reverse process must take place; namely, space is full of radiant energy, presumably produced in the positive section of space, and the stars use this radiant energy to build up a higher level of heat. All radiant energy in that section of space would tend to be absorbed by the stars, which would thus constitute perfectly black bodies; and very little radiant energy would be produced in that section of space, but would mostly come from beyond the boundary surface. What little radiant energy would be produced in the negative section of space would be pseudo-teleologically directed only towards stars which have enough activity to absorb it, and no radiant energy, or almost none, would actually leave the negative section of space. The peculiarity of the boundary surface between the positive and negative sections of space, then, is, that practically all light that crosses it, crosses it in one direction, namely, from the positive side to the negative side. If we were on the positive side, as seems to be the case, then we could not see beyond such surface, though we might easily have gravitational or other evidence of bodies existing beyond that surface."―CHAP XII, 60-61

William James Sidis , The Animate and the Inanimate

samedi 23 août 2014

Après Moi

Après moi le déluge

Signification : Être indifférent(e) à ce qui se passera après sa mort.

Origine : Le mot « déluge » fait ici référence au Déluge biblique. L'expression est prêtée à Louis XV, qui souhaitait faire savoir à ses partisans qu'il se moquait complètement de ce que pourrait faire son dauphin, Louis XVI, après sa mort.

Thriller psychologique


La marche d'approche


jeudi 21 août 2014

L’Animé et l’Inanimé

N. Lygeros

PRÉFACE 

Ce travail met en avant, une théorie spéculative par nature sans vérification expérimentale. Elle est basée sur l’idée de la réversibilité de tout dans le temps ; i.e. tout type de processus a son image temporelle, un processus correspondant qui est exactement l’inverse par rapport au temps. Cela s’applique à toutes les lois physiques sauf une, nommée, seconde loi de la thermodynamique. Cette loi a été trouvée au dix-neuvième siècle et est source d’une grande difficulté. L’éminent physicien, Clerk-Maxwell, au milieu du dix-neuvième siècle, tandis qu’il donnait une preuve de cette loi, a admis que les inversions étaient possibles en imaginant un « démon triant » qui pourrait trier les plus petites particules et séparer les lentes des rapides. Cette seconde loi de la thermodynamique apporte à l’idée de niveau d’énergie, une énergie indisponible (ou « entropie » comme elle a été nommée par Clausius) qui était constamment croissante. 

Dans la théorie mise en avant ici, nous supposons que les inversions de la seconde loi sont un phénomène régulier, et nous les identifions avec ce que nous appelons vie. Ceci change l’idée d’énergie indisponible en une réserve d’énergie, utilisée uniquement par la vie, et créée par des forces inanimées. 

Ceci est en accord avec certaines découvertes récentes. Dernièrement le Professeur William James a découvert dans le domaine des phénomènes mentaux ce qu’il nomme « réserves d’énergie », qui dans une recherche postérieure s’avère être présente dans une mesure plus limitée dans tous les phénomènes biologiques. Il demeurait un mystère pourtant, d’où provenait cette énergie, et la théorie de réserve d’énergie mise en avant dans ce travail suggère une explication possible de ce phénomène. 

En relation à l’univers comme un tout, la théorie mise en avant ici représente l’idée qui est connue en tant que changement cyclique. Cette idée est très ancienne, elle se trouve parmi les philosophes de l’école Ionienne, et est réapparue à des périodes ultérieures de temps en temps. D’un autre côté, la théorie généralement acceptée de la seconde loi de la thermodynamique représente une tendance philosophique différente, la tendance qui considère que les changements effectués sont irréparables. La philosophie d’Aristote est un bon exemple de cette tendance dans les temps anciens, mais elle est apparue plus récemment, spécialement dans la théorie de l’évolution de Spencer, qui, il est intéressant de le noter, est difficilement plus qu’une affirmation de la seconde loi de la thermodynamique en termes philosophiques. 

Depuis que le manuscrit a été complété, mon attention a été attirée par une citation d’une conférence d’un grand scientifique, Lord Kelvin, dans laquelle, il est suggéré une théorie très similaire à la mienne dans ses grandes lignes ; cependant Lord Kelvin ne travaille pas sur cette théorie. Il suggère que la vie fonctionne à travers une inversion de la seconde loi de la thermodynamique, et que les organes vivants, spécialement la vie animale, actuellement joue le rôle du « démon triant » de Clerk-Maxwell. Cependant, Lord Kelvin regarde cela comme une indication d’une sorte de suspension des lois physiques ordinaires, au lieu de chercher une explication dans ces lois physiques elles-mêmes. 

Pour citer les propres mots de Lord Kelvin : « Il est concevable que toute vie animale a l’attribut d’utiliser la chaleur de la matière environnante, à sa température naturelle, comme une source d’énergie pour un effet mécanique... L’influence de la vie animale ou végétale sur la matière est infiniment plus loin du champ de toute investigation scientifique actuelle. Sa capacité à diriger les mouvements de particules en mouvement dans le miracle démontré quotidiennement de notre libre arbitre humain, et dans la croissance de génération en génération de plantes à partir d’une seule graine, sont infiniment différente de tout résultat possible de la concurrence fortuite des atomes ». 

Ici la suggestion est limpide que le phénomène de la vie opère comme le supposé « démon triant » de Clerk-Maxwell à travers l’inversion de la seconde loi de la thermodynamique et l’utilisation de l’énergie indisponible ou de réserve de la matière. Seulement Lord Kelvin au lieu de parvenir à cela à partir des lois physiques ordinaires, conclut immédiatement qu’une force vitale mystérieuse devait opérer. Dans ma théorie cette inversion est expliquée purement sur la base de la théorie de la probabilité. 

Il est aussi à noter que la théorie que je suggère dans ce travail résout non seulement le problème biologique de la réserve d’énergie mais aussi certains paradoxes astronomiques en connexion avec la théorie de la structure de l’univers et de son évolution. 

La dernière partie du travail, qui s’occupe de la théorie de la réversibilité du temps et l’aspect psychologique de la seconde loi de la thermodynamique elle-même est une section purement spéculative, appartenant plus à la métaphysique qu’à la science. Cependant, même dans cette section, il est espéré qu’il sera trouvé une base pour poser une théorie de la nature du temps sur une base scientifique et le placer finalement en dehors de la métaphysique. 

À la fin du travail, nombre d’objections à ma théorie sont posées dans le but de montrer quelles objections peuvent être soulevées. Je ne tente pas de répondre à ces arguments, mais, pour la liberté du lecteur, je les pose et les laisse sans réponse, de façon à ce que le lecteur puisse décider par lui-même tous les pour ou contre à cette question, et arriver à une conclusion moins biaisée. 

Au début j’ai hésité à publier cette théorie de la réversibilité de l’univers ; mais j’ai été encouragé par la découverte de la citation de Lord Kelvin mentionnée au-dessus ; aussi maintenant, en sachant que ce n’est pas la première fois qu’est suggéré le fait que la vie est une inversion de la seconde loi de la thermodynamique, j’ai décidé de publier ce travail et je donne ma théorie au monde, pour être accepté ou rejeté, selon le cas. 

Traduction : L’Animé et l’Inanimé – William James Sidis 
6 Janvier 1920

L'aube de Pénélope




Pénélope

Pendant les vingt années d'absence d'Ulysse, durant et après la guerre de Troie, Pénélope lui garda une fidélité à l'épreuve de toutes les sollicitations. Sa beauté et le trône d'Ulysse attirèrent à Ithaque cent quatorze prétendants. Elle sut toujours éluder leur poursuite et les déconcerter par de nouvelles ruses. La première fut de s'attacher à faire sur le métier un grand voile, en déclarant aux prétendants qu'elle ne pouvait contracter un nouveau mariage avant d'avoir achevé cette tapisserie destinée à envelopper le corps de son beau-père Laërte, quand il viendrait à mourir. Ainsi, pendant trois ans, elle allégua cet ingénieux prétexte, sans que sa tapisserie s'achevât jamais ; car elle défaisait la nuit ce qu'elle avait fait le jour : de là est venue l'expression « la toile de Pénélope », désignant un ouvrage auquel on travaille sans cesse et que l'on ne termine jamais.

dimanche 17 août 2014

Rumba des îles


{Jeanne} Cette lumière?
{Marguerite} La mousson, dessous : le Bengale
{Jeanne} Cette poussière là-bas?
{Marguerite} Calcutta Central
{Jeanne} Cette rumeur?
{Marguerite} Le Gange
{Jeanne} Où est-on?
{Marguerite} L´Ambassade de France aux Indes
{Jeanne} Il y a comme une odeur de fleurs?
{Marguerite} La lèpre

{Jeanne} Cette couleur verte, elle grandit
{Marguerite} L´océan Indien
{Jeanne} Ces jonques?
{Marguerite} Le riz. Elles vont vers le grand Mandel
{Jeanne} Sur les talus, ces taches sombres?
{Marguerite} Les gens. La densité la plus élevée du monde
{Jeanne} Ces miroirs noirs?
{Marguerite} La rizière indienne
{Jeanne} Ces lueurs là-bas? On brûle les morts de la faim?
{Marguerite} Oui. Le jour vient

{Jeanne} Cet amour?
{Marguerite} L´amour
{Jeanne} On danse à l´autre bout du hall?
{Marguerite} Des touristes de Ceylan
{Jeanne} Qu´elle est blanche! Qu´elles sont blanches les femmes de Calcutta!
{Marguerite} Pendant six mois, elles ne sortent qu´avec le soir, fuient le soleil
{Jeanne} Morte là-bas?
{Marguerite} Aux îles, trouvée morte, une nuit

{Jeanne} Ce mot?
{Marguerite} Désir

{Jeanne} Celle qui vient dans cette odeur de fleurs?
{Marguerite} Une mendiante
{Jeanne} Folle?
{Marguerite} C´est ça! Elle vient de Birmanie
{Jeanne} Maigre!
{Marguerite} La faim
{Jeanne} À Calcutta, elles étaient ensemble?
{Marguerite} Oui, c´était pendant les mêmes années

mercredi 13 août 2014

Tiens toé ben, j'arrive!


Elle sera brûlée jusqu'à la racine

Berlin flambe. Elle sera brûlée jusqu'à la racine. Entre ses ruines, le sang allemand coulera. Quelquefois on croit sentir l'odeur de ce sang. Le voir. Un prêtre prisonnier a ramené au centre un orphelin allemand. Il le tenait par la main, il en était fier, il le montrait, il expliquait comment il l'avait trouvé, que ce n'était pas de sa faute, à ce pauvre enfant. Les femmes le regardaient mal. Il s'arrogeait le droit de déjà pardonner, de déjà absoudre. Il ne revenait d'aucune douleur, d'aucune attente. Il se permettait d'exercer ce droit de pardonner, d'absoudre là, tout de suite, séance tenante, sans aucunement connaître la haine dans laquelle on était, terrible et bonne, consolante, comme une foi en Dieu. Alors de quoi parlait-il ? Jamais un prêtre n'a paru aussi incongru. Les femmes détournaient leurs regards, elles crachaient sur le sourire épanoui de clémence et de clarté. Ignoraient l'enfant. Tout se divisait. Restait d'un côté le front des femmes, compact, irréductible. Et de l'autre côté cet homme seul qui avait raison dans un langage que les femmes ne comprenaient plus.
Marguerite Duras, Extrait La douleur

L'Angélus


Countryside


lundi 11 août 2014

La passe


Silence

Within each of us there is a silence – a silence as vast as the universe. We are afraid of it . . . and we long for it. 

When we experience that silence, we remember who we are: creatures of the stars, created from the birth of galaxies, created from the cooling of this plane, created from dust and gas, created from the elements, created from time and space . . . created from silence.
Gunilla Norris, Inviting Silence

mercredi 6 août 2014

La mémoire est toujours une question de lieu

« La journée commence par un cri d'absence au pied du menhir. La mer s'est retirée. Même proche, elle me manque. A genoux, je gratte le sol et le dégage à la manière d'un chat. La mémoire est toujours une question de lieu pour moi. A l'heure ou naissent dans ma tête des idées de voyage, je suis en route et je marche, j'approche du lieu journalier. Celui que j'apprendrai à oublier. Le fatigue me prend dans les jambes, m'explique qu'il faut ralentir. 
Toutes cette énergie dépensée pour vivre, à chercher, trouver, couper, cueillir, ramasser. Tout ce qu'il faut pour inventer une forme, un langage qui collera à la terre, au paysage. Toutes ces installations que je recouvre parfois, une fois terminées, par des végétaux. Ainsi la terre, comprend mieux l'offrande, la dissout, la digère. 
Important ces grandes émotions de la rencontre avec celle qui me recueillera un jour. »

mardi 5 août 2014

It's A Man's World

L'art français de la guerre

Il fallut le cinéma pour me l'apprendre: la destruction des corps à la machine s'accompagne d'une effacement des âmes dont on ne s'aperçoit pas. Lorsque le meurtre est sans trace le meurtre lui-même disparaît; et les fantômes s'accumulent, que l'on est incapable de reconnaître.

Alexis Jenni, L'art français de la guerre

lundi 4 août 2014

Pappus


C'est là sans appui que je me repose

Je ne suis pas bien du tout assis sur cette chaise
Et mon pire malaise est un fauteuil où l'on reste
Immanquablement je m'endors et j'y meurs.

Mais laissez-moi traverser le torrent sur les roches
Par bonds quitter cette chose pour celle-là
Je trouve l'équilibre impondérable entre les deux
C'est là sans appui que je me repose.

Hector de Saint-Denys Garneau, Regards et jeux dans l'espace

Donnez celles qui vous viennent


Chiaroscuro

Le clair-obscur (italien « Chiaroscuro ») est une pratique artistique permettant de produire sur le plan de l'image des effets de relief par la reproduction des effets de l'ombre et de la lumière sur les volumes perceptibles dans l'espace réel. Elle consiste, en général, à réaliser des gradations de couleur sombre sur un support plus ou moins clair mais parfois, à l'inverse, par des couleurs claires sur un support sombre. Dès le début du XVIe siècle le dessin en clair-obscur s'effectue sur un papier teinté en demi-teinte, et pour les parties les plus claires avec des rehauts clairs. Lorsque le clair-obscur s'effectue sans transition perceptible, par des gradations fondues on parle, depuis Léonard de Vinci qui en fut l'initiateur, de sfumato. Lorsque des parties claires côtoient immédiatement et sans dégradé des parties très sombres, créant des effets de contrastes parfois violents, et que l'ombre domine l'ensemble du tableau on parle de ténébrisme pour qualifier cet effet de style. Le procédé du clair-obscur a été mis au point dès la Renaissance, mais porté à son effet maximum par Le Caravage et ses suiveurs, puis par des peintres des écoles du nord, notamment Rembrandt.

Le stade du miroir


Le miroir

Le miroir plan renvoie une image fidèle (mais inversée) de la personne qui se regarde dedans ; il est donc chargé d'une forte connotation symbolique. Il permet de se voir tel que l'on est, mais toujours sous un seul et même angle (face à face et inversé), notamment avec ses défauts. Il est souvent associé à la vérité, comme le Miroir Magique de Blanche-Neige.

Le miroir est également l'inverseur de la vérité. Dans Don Quichotte, le Chevalier des Miroirs est l'ennemi mortel de l'Hidalgo dont il renie l'inspiration.

Il s'agit, avec le labyrinthe, de l'un des thèmes récurrents des récits et des poèmes de l'Argentin Jorge Luis Borges, en particulier parce que le miroir met en scène l'obsession borgésienne de la symétrie secrète existant en toutes choses. Dans la première nouvelle du recueil Fictions, titrée « Tlön, Uqbar, Orbis Tertius », le narrateur place une boutade célèbre dans la bouche de l'un des amis de Borges (lequel donc est également un des personnages du récit, tout comme « l'ami » du reste) : « Bioy Casares se rappela alors qu'un des hérésiarques d'Uqbar avait déclaré que les miroirs et la copulation étaient abominables, parce qu'ils multipliaient le nombre des hommes. » (traduction P. Verdevoye).

C'est aussi un symbole fort de la mythologie japonaise, et du shintoïsme ; c'est également un des attributs de la déesse japonaise du soleil Amaterasu.

Le psychanalyste Jacques Lacan définit le « stade du miroir », qui est le moment où l'enfant prend conscience que c'est lui-même qu'il voit dans un miroir. Cette connaissance de soi (et non cette reconnaissance, puisqu'avant de se voir dans un miroir, un enfant n'a pas d'appréhension de son corps comme formant une unité totale fonctionnelle) intervient entre 18 et 24 mois, en général. Elle participe de la mise en place du corps comme unifié (en opposition au corps morcelé préexistant au stade du miroir, et problématique dans les affections schizophréniques), et de la structuration du moi. Le stade du miroir est aussi corollaire de l'apparition de la négation chez l'être humain.

Dans la littérature et les croyances populaires, le miroir est aussi le symbole d'une porte, d'une limite vers un autre monde, particulièrement mis en valeur dans Alice au pays des merveilles.

Le miroir est présent dans de nombreuses religions en tant qu'instrument magique ou sacré. Par exemple dans le bouddhisme tibétain, il est symbole de l'une des plus hautes connaissances : que la réalité de toute manifestation n'est que vacuité.

dimanche 3 août 2014

O adonis

Parole de juillet

Mesuré est le lieu des hommes
Et les oiseaux ont reçu le même mais immense !
Immense le jardin où à peine
Séparé de la Mort. (avant qu’elle ne me touche à nouveau
Déguisée) je jouais et tout m’arrivait aisément à hauteur de main.
Le petit cheval de mer ! Et de la bulle pfuit l’éclatement !
Le bateau rouge de la mûre sauvage courants profonds des
Feuillages ! Et le mât de misaine plein de drapeaux !

Que m'arrive-t-il à présent ? Mais c'était hier où j'ai existé
Et puis la longue longue vie des inconnus l'inconnue
Soit. Rien qu'en parlant joliment on s'épuise :
Comme le cours de l’eau qui d’une âme à l’autre
tisse les distances.
Et tu te trouves funambulant d’une Galaxie à l'autre
Alors que sous tes pieds grondent les précipices.
Et tu arrives ou non.
Oh premiers élans à peine esquisses sur mes draps. Anges féminins
Qui de là-haut me faisiez signe d'avancer dans toute chose
Puisque même si je tombais de la fenêtre
la mer de nouveau me servirait de monture
L'immense pastèque qu‘ignorant jadis j’ai habitée
Et ces filles de la maison, ces orphelines, à la chevelure défaite qui avec l’Intelligence du vent savait se déployer par-dessus les cheminées !
Une telle harmonie de l’ocre dans le bleu
qui vraiment te trouble
Et les écritures d'oiseaux que le vent pousse par la fenêtre
À l'heure où tu dors poursuivant l'avenir
Le Soleil sait. Il descend en toi pour regarder.
Car l'extérieur n’étant que reflet, c’est dans ton corps que la nature demeure et de la qu'elle se venge
Comme dans une sauvagerie sacrée pareille a celle lion ou de l'Anachorète
Ta propre fleur pousse
que l’on nomme Pensée
(Bien que lettré, j'arrivai de nouveau là où la nage m’a toujours mené)
Mesuré est le lieu des sages
Et let enfants ont reçu le même mais Immense !
Immense la mort sans mois ni siècles
Pas moyen de devenir adulte là-bas
De sorte que dans les mêmes chambres
les mêmes jardins tu retourneras
en tenant la cigale - Zeus qui d’une
Galaxie à l’autre promène ses étés.

Odysseus Elytis traduction Angélique Ionatos, Les Élégies de la pierre tout-au-bout

samedi 2 août 2014

Genius Loci


Aventure des lignes

En 1975, le poète Henri Michaux s’enflammait pour l’œuvre de Paul Klee, exposée à la galerie Karl Flinker, à Paris. Il écrivit au galeriste la lettre suivante.

« Quand je vis la première exposition de tableaux de Paul Klee, j'en revins, je m'en souviens, voûté d'un grand silence. Fermé à la peinture, ce que j'y voyais, je ne sais. Je ne tenais pas à le savoir, trop heureux d'être de l'autre côté, dans l'aquarium,loin du coupant. Peut-être y recherchais-je avant tout la marque de celui qui devait écrire : "Quel artiste ne voudrait s'établir là, où le centre organique de tout mouvement dans l'espace et le temps - qu'il s'appelle cerveau ou cœur de la Création - détermine toutes les fonctions ?" J'accédais au musical, au véritable silence. Grâce aux mouvantes, menues modulations de ses couleurs, qui ne semblaient pas non plus posées mais exhalées au bon endroit, ou naturellement enracinées comme mousses ou moisissures rares, ses "natures tranquilles", aux tons fins de vieilles choses, paraissaient mûries, avoir de l'âge et une lente vie organique, être venues au monde par graduelles émanations.
Quelques points rouges chantaient en ténor dans la sourdine générale. Néanmoins on éprouvait qu'on était dans un souterrain, devant des eaux, dans des enchantements, avec l'âme même d'une chrysalide.

LES VOYAGEUSES, LES POSSESSEUSES ...

Le réseau complexe des lignes apparaissait petit à petit : celles qui vivent dans le menu peuple des poussières et des points, traversant des mies, contournant des cellules, des champs de cellules, ou tournant, tournant en spirale pour fasciner, ou pour retrouver ce qui a fasciné, ombellifères et agates. Celles qui se promènent. Les premières qu'on vit ainsi, en Occident, se promener.
Les voyageuses, celles qui font non pas tant des objets que des trajets, des parcours. (Il y mettait même des flèches.) Ce problème des enfants, qu'ils oublient ensuite, qu'ils mettent, à cet âge, dans tous leurs dessins : le repérage, quitter ici, aller là, la distance, l'orientation, le chemin conduisant à la maison, aussi nécessaire que la maison... était aussi le sien.
Les pénétrantes, celles qui, au rebours des possesseuses, avides d'envelopper, de cerner, faiseuses de formes (et après ?), sont lignes pour l'en dessous, trouvant non dans un trait du visage mais dans l'intérieur de la tête le point névralgique où un œil inconnu veille et garde ses distances.
Celles qui au rebours des maniaques du contenant, vase, forme, mont, modelé du corps, vêtements, peau des choses (lui déteste cela), cherchent loin du volume, loin des centres, un centre tout de même, un centre moins évident, mais qui davantage soit le maître du mécanisme, l'enchanteur caché. (Curieux parallélisme, il mourut de sclérodermie.)

... LES ALLUSIVES, LES FOLLES D'ÉNUMÉRATION

Les allusives, celles qui exposent une métaphysique, assemblent des objets transparents et des symboles plus denses que ces objets, lignes signes, tracé de la poésie, rendant le plus lourd léger. Les folles d'énumération, de juxtapositions à perte de vue, de répétition, de rime, de la note indéfiniment reprise, créant palaces microscopiques de la proliférante vie cellulaire, clochetons innombrables et dans un simple jardinet, aux mille herbes, le labyrinthe de l'éternel retour.
Une ligne rencontre une ligne. Une ligne évite une ligne. Aventures de lignes.
Une ligne pour le plaisir d'être ligne, d'aller, ligne. Points. Poudre de points.
Une ligne rêve. On n'avait jusque-là jamais laissé rêver une ligne. Une ligne attend. Une ligne espère. Une ligne repense un visage. Lignes de croissance. Lignes à hauteur de fourmi, mais on n'y voit jamais de fourmis. Peu d'animaux dans les temples de cette nature, et seulement leur animalité une fois retirée. La plante est préférée. Le poisson à l'air méditant est reçu.
Voici une ligne qui pense. Une autre accomplit une pensée. Lignes d'enjeu. Ligne de décision.
Une ligne s'élève. Une ligne va voir. Sinueuse, une ligne de mélodie traverse vingt lignes de stratification.
Une ligne germe. Mille autres autour d'elle, porteuses de poussées : gazon. Graminées sur la dune.
Une ligne renonce. Une ligne repose. Halte. Une halte à trois crampons. Un habitat. Une ligne s'enferme. Méditation. Des fils en partent encore, lentement.
Une ligne de partage, là, une ligne de faîte, plus loin la ligne observatoire. Temps, Temps...
Une ligne de conscience s'est reformée.
On peut les suivre mal ou bien, sans jamais risquer d'être conduit à l'éloquence, toujours évitée, toujours évité le spectaculaire, toujours dans la construction, toujours dans le prolétariat des humbles constituants de ce monde.
Sœur des taches, de ses taches gui paraissent encore maculatrices, venues du fond, du fond d'où il revient pour y retourner, au lieu du secret, dans le ventre humide de la Terre-Mère.
Je m'arrête, mon cher K.F. Paul Klee ne devait pas aimer qu'on déraille. Trop goethéen pour cela. Son attention horlogère au mesurable ne lui aurait pas permis d'aimer qu'on fît, pour l'accompagner, un bout de chemin si imparfaitement parallèle.
Pour entrer dans ses tableaux et d'emblée, rien de ceci, heureusement, n'importe. Il suffit d'être l'élu, d'avoir gardé soi-même la conscience de vivre dans un monde d'énigmes, auquel c'est en énigmes aussi qu'il convient le mieux de répondre. 
Bonne chance.»
Henri Michaux