Ainsi, en sanscrit, sûtra signifie proprement « fil » (1) : un livre peut être formé par un ensemble de sûtras, comme un tissu est formé par un assemblage de fils ; tantra a aussi le sens de « fil » et celle de « tissu », et désigne plus spécialement la « chaîne » d’un tissu (2). De même, en chinois, king est la « chaîne » d’une étoffe, et wei est sa « trame » ; le premier de ces deux mots désigne en même temps un livre fondamental, et le second désigne ses commentaires (3). Cette distinction de la « chaîne » et de la « trame » dans l’ensemble des écritures traditionnelles correspond, suivant la terminologie hindoue, à celle de Shruti, qui est le fruit de l’inspiration directe, et de la Smriti, qui est le produit de la réflexion s’exerçant sur les données de la Shruti (4).
1 — Ce mot est identique au latin sutura, la même racine, avec le sens de « coudre », se trouvant également dans les deux langues. — Il est au moins curieux de constater que le mot arabe sûrat, qui désigne les chapitres du Qorân, est composé exactement des mêmes éléments que le sanscrit sûtra ; ce mot a, d’ailleurs, le sens voisin de « rang » ou « rangée », et sa dérivation est inconnue.
2 — La racine tan de ce mot exprime en premier l’idée d’extension.
3 — Au symbolisme du tissage se rattache aussi l’usage des cordelettes nouées, qui tenaient lieu d’écriture en Chine à une époque fort reculée ; ces cordelettes étaient du même genre que celles que les anciens Péruviens employaient également et auxquelles ils donnaient le nom de quipos. Bien qu’on ait parfois prétendu que ces dernières ne servaient qu’à compter, il paraît bien qu’elles exprimaient aussi des idées beaucoup plus complexes, d’autant plus qu’il est dit qu’elles constituaient les « annales de l’empire », et que, d’ailleurs, les Péruviens n’ont jamais eu aucun autre procédé d’écriture, alors qu’ils possédaient une langue très parfaite et très raffinée ; cette sorte d’idéographie était rendue possible par de multiples combinaisons dans lesquelles l’emploi de fils de couleurs différentes joue un rôle important.
4 — Voir L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. Ier, et aussi Autorité spirituelle et pouvoir temporel, ch.VIII.
René Guénon, Le symbolisme de la Croix, Chapitre XIV : Le symbolisme du tissage
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