"Je sens que je m'endors. Je sais que je m'éveille. Éveillé, je sais que je le suis. Mais, rêvant, je ne suis pas moins persuadé que je veille. De sorte que, persuadé d'être éveillé, je ne puis jamais être certain de ne pas rêver. Les arguments des philosophes établissent cette évidence plutôt qu'ils ne la ruinent. Pourtant, il leur faut bien fonder en principe l'éminente, l'irremplaçable dignité de la veille. J'examine maintenant le cas où ils ne négligent pas le sommeil, ni le réveil. Ils définissent alors la veille comme l'état dont on ne se réveille pas. Mais, justement, toute la question est de distinguer comment, à quelque instant que ce soit, on peut être assuré de ne pas se réveiller l'instant d'après. En principe, il existe un moyen: si l'on se souvient qu'on s'est réveillé et si la continuité de la conscience permet d'affirmer qu'on ne s'est pas rendormi dans l'intervalle, il semble que l'on puisse légitimement être certain qu'on ne se réveillera pas de nouveau, puisqu'il n'y a pas d'état — hors, selon quelqu'un, les illuminations mystiques — qui soit à la veille ce que la veille est au rêve. Le tout est de pouvoir être sûr que l'on ne s'est pas rendormi entre-temps. Sans quoi, ce que l'on prend pou la veille, pourrait fort bien être encore un rêve."
Roger Caillois, Exrtait de L'incertitude qui vient des rêves
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