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vendredi 30 janvier 2015

Ken et Barbiche


Le serpent à plumes

Le serpent à plumes est une divinité dont le culte était très répandu en Mésoamérique. Les plus anciennes représentations iconographiques de cette divinité datent du début de la période classique, vers 150 après J.-C., dans l'art public de Teotihuacan, notamment dans les peintures murales.

Son culte trouve ses origines à l'époque préclassique, vers 1200 avant J.-C., dans celui du serpent aquatique chez les Olmèques, qui s'est progressivement transformé en différentes entités telles que Quetzalcóatl et Ehécatl chez les Aztèques, Kukulkan chez les Mayas du Yucatán, Tohil chez les Mayas quichés ou encore Coo Dzavui chez les Mixtèques.

Symbolisme

Le plus ancien et le plus immuable des aspects symboliques du serpent à plumes semble être de nature agricole. En effet, de cette ancienne époque jusqu'à aujourd'hui, les peuples indigènes l'ont associé au cycle de croissance du maïs, comparant les feuilles vertes de la plante à des plumes de quetzal et les épis à des écailles de serpent.

Comme souvent dans la pensée mésoaméricaine, le symbolisme du serpent à plumes est imprégné de dualisme : il est à la fois rattaché à la terre, par le serpent, et au ciel, par les plumes de l'oiseau. C'est tout le contraire du dualisme judéo-chrétien qui sépare le corps et l'esprit: ciel et terre, par le symbolisme du serpent à plume, ne font qu'un. Il s'agit d'un symbole moniste fort, avec deux polarités indissociables.

Il est également associé à Vénus.

La file indienne


Eye Movement Desensitization and Reprocessing


Le réel

Le réel ça vous tombe dessus, vous tombez dessus. C’est la foudre, un coup du sort, le coup de foudre. C’est un délice, c’est un cauchemar. Le réel, c’est une tempête, un frôlement, un éclair qui traverse le ciel, un crash, un trébuchement, une claque, une caresse, une fièvre trop forte. Le réel, ça vous tient, ça vous échappe, ça vous rattrape, il vous agrippe, ne vous lâche plus. Ne croyez pas pour autant que vous pourrez l’attraper. Le réel, c’est un mot oublié, un mot de travers, un accroc, une parole qui vous a percuté ou qui vous a ravi. Le réel, il est là, cours-y vite, il a filé… il revient, virevolte et s’enfuit. Le réel, c’est ce harcèlement, cet acharnement, cette étreinte hideuse et vous vous débattez, vous chavirez, vous succombez. Le réel, c’est ce bolide qui va sa course folle et puis va s’écraser. C’est une déferlante, un soubresaut. Un tremblement. C’est la feuille en automne qui va se détacher, puis lentement tomber. Vous n’y pouvez rien. Elle s’écrasera sous vos pieds. C’est une voix qui hurle, votre voix qui s’éteint, les paroles de l’Autre, votre murmure, ton cri. C’est une cellule maligne tapie dans un corps. Peut-être un désastre. C’est l’arc-en-ciel, une éclipse, lalangue, la vôtre, la tienne, la mienne. C’est l’indicible, l’impalpable, l’invisible qui vous enserre, vous oriente et vous désoriente. C’est le mot d’enfant dont les adultes ont ri et l’enfant a rougi. C’est cette rougeur. C’est la palpitation du coeur, le pied qui se tord, une douleur, la fleur qui a éclos ce matin et déjà meurt. Le réel, c’est la mort aux trousses, quand la ville dort, le carrefour de la mort, le port de l’angoisse, M le maudit. C’est la blancheur de la neige qui a tout recouvert, le torrent qui dévale, enfle et emporte tout sur son passage. Le réel, c’est là où vous vous perdez. Il vous paraît pourtant étrangement familier. C’est l’objet encombrant qu’on ne peut pas tenir, ni ranger, ni posséder. Existe-t-il ? Le réel, c’est un feu follet. C’est un symptôme, un sinthome, un saint homme, un madaquin. Le réel, c’est l’inconscient freudien. C’est l’invention de Lacan, ce qu’il nous a laissé. Et depuis, le réel, c’est le vôtre, le sien, c’est le mien, celui de chacun, un par un.

jeudi 29 janvier 2015

Géraldine


Indissoluble

« Ce qui m'intéressait, c'était de montrer sur un cas concret comment des pratiques artistiques tirent profit des compétences humaines qui préexistent aux arts.

Ce qui explique, selon moi, l'importance des arts dans la vie des hommes depuis que les hommes existent, c'est justement le fait qu'il n'y a pas d'un côté la vie que nous menons et de l'autre les pratiques artistiques. Il existe un lien indissoluble entre les deux et ce lien tient notamment au fait que les pratiques artistiques tirent profit de ressources mentales qui, par ailleurs, ont aussi des fonctions non artistiques. Si on ne comprend pas cela, on ne comprend pas l'art ni la vie, on ne comprend pas pourquoi l'homme s'intéresse à l'art et pourquoi il a produit des arts. »

Jean-Marie Schaeffer, Extrait de Pourquoi la fiction?

La cage


Les stades


mercredi 28 janvier 2015

L'éducation

" l'éducation devrait vous aider à comprendre la globalité de la vie et ne pas se contenter de vous préparer à trouver un emploi et à suivre la voie toute tracée.../... La vie est un mystère extraordinaire, pas celui que décrivent les livres, ni celui dont parlent les gens, mais un mystère que chacun doit découvrir par lui-même ; c'est pourquoi il est si important que vous compreniez aussi tout ce qui est petit, étroit, mesquin, et que vous sachiez dépasser ces notions."

Krishnamurti. Extrait de Le sens du bonheur

Chauffage externe


Chauffage interne


Atom Dance



We are each others hemispheres

I am finetuning my soul
To the universal wavelength
No one is a lover alone
I propose an atom dance

Our hearts are coral reefs in low tide 
Love is the ocean we crave
Restlessly turning around and around
I am dancing towards transformation 

Learning by love to open it up
Let this ugly wound breathe
We fear unconditional heart space
Healed by atom dance

When you feel the flow as primal love
Enter the pain and dance with me
We are each others hemispheres

We aim at peeling off
Dead layers of loveless love 
No one is a lover alone
Most hearts fear their own home 
Becoming themselves fully
It scares them off

When you feel the flow as primal love
Enter the pain and dance with me
We are each others hemispheres

No one is a lover alone
Most hearts fear their own home
You are my second hemisphere
The atoms are dancing

No one is a lover alone 
Most hearts fear their own home

St-André Avelin


Le doute

" Vous dites : " Si nous doutons de tout, il ne nous restera plus rien." Tant mieux! Quelle est l'importance des choses auxquelles vous vous accrochez si le doute peut les détruire ? De quelle valeur sont vos traditions et tout ce que vous avez accumulé, si la tempête du doute peut les balayer ? Tout cela sera semblable à une construction faite sur le sable : lorsqu'arrivent les vagues puissantes, elle est complètement détruite. En évitant la vie, en la craignant, vous vous abritez dans les choses agonisantes, et la souffrance se trouve dans cet abri. Mais en appelant le doute et la souffrance dans la plénitude de votre cœur, vous créerez ce qui sera éternel et portera l'estampille du bonheur... C'est pourquoi je voudrais pousser chaque être qui cherche la vérité à attirer à lui les tempêtes du monde et à détruire ainsi la faiblesse de son esprit et de son cœur... L'homme qui n'appelle jamais le doute ne pénétrera pas dans les espaces libres où se trouve la certitude de la connaissance et la liberté... " Il nous faut tout mettre en doute afin que du paroxysme du doute naisse la certitude. Ce n'est pas lorsque vous vous sentez fatigués ou malheureux qu'il faut douter : n'importe qui peut faire cela. C'est dans les moments d'extase que vous devez douter, car vous découvrez alors si ce qui demeure est vrai ou faux."

Krishnamurti, Extrait de La révolution du réel

Juste avant le soleil


L'illusion de la liberté

Dans le paysage actuel de la précarité à laquelle sont soumis les créateurs, il est souvent difficile de résister à la tentation de la réussite au sens médiatique et économique du terme. Le piège vient de ce que cette réussite désirée donne l’illusion qu’on y trouvera le pouvoir de faire ce que l’on veut, et donc d’être libre. Le réglage est complexe entre le pouvoir dont on a besoin pour créer et l’autonomie que l’on veut préserver face à ceux qui fournissent les moyens mêmes de la survie et de la création. Cela ressemble énormément au conflit de Socrate avec les sophistes. Les sophistes prétendaient enseigner l’art de réussir et de prendre le pouvoir et Socrate dénonçait la perte de la vérité, c’est à dire en dignité et en liberté, que cet enseignement lucratif entraînait. Socrate a laissé sa peau dans ce combat. L’argent et le pouvoir conquis par la capacité de manipuler par la parole puis, à partir de l’ère chrétienne, par le spectacle est un vieille histoire qui ne s’est non seulement pas interrompue mais qui a pris désormais une ampleur sans précédent avec le déploiement du capitalisme financier et spectaculaire.

Marie-José Mondzain, Extrait d'Un théâtre résolument physique

lundi 26 janvier 2015

Sergio Laterreur


L’exigence des regards

« L’image est un acte qui engage le geste de celui qui l’a faite et le regard de celui qui la reçoit. »

Marie-José Mondzain

Nos gris


Saxifraga

Il existe dans la nature, des plantes minuscules, sauvages aussi bien que cultivées, dont la particularité est de naître et de se développer dans les fissures des pierres et par leur imperceptible insistance à imposer aux matières les plus compactes et les plus résistantes l’ordre fracturant de leur présence…

On les appelle saxifrages. 

Elles sont libres de toute attache profonde à un sol mais elles imposent avec ténacité la puissance quasi sismique de leur vitalité. Elles sont classées parmi les herbes dont elles partagent sans doute la modestie mais non pas l’uniformité. Les saxifrages sont innombrables et si diverses qu’il y en a pour fleurir et se multiplier quelles que soient la latitude et la saison.

Marie-Josée Mondzain, Extrait de Saxifraga politica

Abandon


Questionner l'ornement

J’aime bien l’expression « questionner l’ornement » car elle fait entendre d’emblée que si nous pouvons l’interroger, c’est qu’il peut répondre lui-même à notre question et qu’il est peut-être même la réponse à la question que nous nous posons. Autrement dit l’ornement parle, il s’adresse à nous en tant que sujet parlant depuis son apparent silence et sa fausse insignifiance. Ne serait-ce pas la ruse de l’ornement que de se présenter sous la figure du détail aléatoire, fruit d’une imagination frivole et dépensière, alors qu’il se peut qu’il soit la ruse même, celle qui déjoue un autre imaginaire écrasant et carcéral, celui de la nécessité ? Il nous fait signe et en lui se joue en effet un régime de l’adresse. Dans son usage courant, le terme semble désigner un état des choses qui doit son existence à autre chose que lui-même. Le verbe orner attend son complément d’objet, comme tout attribut ou qualité qui se tient au titre de supplément sur la base qui lui procure à la fois son occasion et son support. Extraite de son ornement, la chose ou la parole seraient à la fois nudité essentielle de la chose même et support de ce qui compose occasionnellement le masque de sa séduction ou de son charme. Or dès que l’on fait allusion à la nudité originelle de la chose même, à la substance ou au substrat, le philosophe se demande jusqu’où l’on doit pousser les limites de la nudité. C’est que la philosophie n’a cessé de questionner ce dessous des choses, cette réalité substantielle qui, pour être imaginaire, voire même idéale, n’en passe pas moins pour avoir la consistance ontologique d’une présence non perceptible mais à proprement parler supposée. L’essence inaperçue exigerait une sorte de dépouillement tout en attendant de ce qui la masque les conditions de sa visibilité. Que la chose même, que le substrat ou le support en soi existe ou non, l’ornement, lui, semble donc échapper à toute participation nécessaire et essentielle. Dire qu’il est accident signifie bien qu’il change, se transforme, ou peut disparaître sans que la chose ornée, elle, change de nature ou cesse d’exister. L’ornement voilerait à tort ou à raison un régime intrinsèque du réel qui se trouve de ce fait dans une situation paradoxale. En effet, ce qui vient couvrir la substance intrinsèque du monde serait dans le même mouvement ce qui la dérobe au regard tout en la rendant visible.

Marie-Josée Mondzain, Extrait de Questionner l’ornement

jeudi 22 janvier 2015

La marche


Processus de subjectivation

C’est que le sujet se constitue lui-même dans son rapport à l’image, à son image et à celle du monde qu’il ne voit pas bien à sa naissance mais dont il éprouve aussitôt la présence sensorielle et qu’il va apprendre à voir pour arriver un jour à se voir et accéder ainsi à sa parole. De quelle façon, ce qui se constitue du sujet de la pensée et du sujet de la parole provient de la construction de sa propre image, se construit sur ce qui lui permet dans l’usage qu’il fait de ses yeux d’éprouver la rencontre qu’il fait d’un autre regard ? C’est cette expérience de l’autre, de l’altérité qui prend naissance dans l’exercice du regard et qui va le conduire de séparation en séparation comme on franchit des épreuves successives. Car nous sommes séparés de notre image, mon image n’est pas moi, même si je peux me reconnaître et dire c’est moi. L’image est à la fois ce qui permet au sujet de s’identifier dans la rencontre qu’il fait de sa propre image, mais de le faire dans l’expérience d’une séparation d’avec lui-même, d’un clivage. Le regard sépare et rejoint. Sous ce registre, l’image est un opérateur d’identité, dans une opération de séparation qui fait de cette identité une expérience d’altérité non seulement entre moi et l’autre, mais c’est à l’intérieur de moi-même que l’image me met à l’épreuve de mon propre dehors.

Pourquoi est-ce que je rappelle ces fondements de la réflexion sur l’image ? C’est sur le chemin, sur l’itinéraire et la progression de ces opérations de séparation que le sujet accède à la parole, accède à la production des signes, c’est-à-dire s’entretient avec les regards qu’il croise. Il s’agit de ce qui s’entretient entre les sujets de la parole et du regard. S’entretenir, c’est non seulement parler mais c’est désigner ce qui soutient la relation entre les sujets comme un lien « entre eux », hors d’eux. Donc, cet entretien du sujet qui est suspendu à la construction de son regard et à la mise en œuvre de sa parole, qui va lui permettre de s’entretenir avec le monde et d’entretenir avec le monde une relation qui est à la fois sensorielle et langagière. Voilà ce qui dans l’histoire des séparations que nous n’en finirons pas d’opérer tout au long de notre vie, ce qu’on pourrait appeler processus de subjectivation. La construction du site du sujet, celle de son regard sur le monde, permet en même temps de définir la nature des liens ; ce qui sépare et permet de construire le lien.

Marie-José Mondzain, Extrait de Temps et montage (1/4)

vendredi 16 janvier 2015

Speed of Life


299 792 458 mètres par seconde


La liberté n'est pas une marque de yogourt

« On ne fait pas l’indépendance avec des balounes et des airs de violon … Et tous les prétextes sont bons pour rester assis dans sa marde : « J’veux pas perdre mes montagnes Rocheuses, ma télévision couleurs pis mon chèque de pension. » « Qu’est-ce qui va arriver avec le Conseil des Arts? » « Les Québécois aiment pas les immigrants. » « Lionel Groulx haissait les Juifs. » « Parizeau est trop gros. » « Faut ben gagner sa vie. » « On veut entendre parler d’emploi. » « Les péquisses sont à droite. » « S’faire fourrer en français ou en anglais, qu’esse ça change? » « C’est pas assez multiethnique,ou plutôt néo-trans-postculturel. » « Vous avez pas de projet de société. » « Y’a rien pour les cyclistes gais unijambistes. » Comme si la lutte de libération nationale n’était pas en soi, un projet de société. Le bateau coule et des passagers veulent discuter de l’aménagement intérieur de la chaloupe. Ramons, câlice! On discutera ensuite de la couleur de la casquette du capitaine ou de la forme des rames. L’indépendance n’est pas le paradis. Ce n’est pas la solution à tous les problèmes. Mais il s’agit de choisir enfin. Ou le statut de nation annexée à jamais, ou la liberté. Incapables de s’unir minimalement pour conquérir l’indépendance, on masque sa lâcheté et son cynisme avec des phrases creuses. On s’étourdit avec les mots. On cherche la perfection du paradis, on exige la lune. On demande au mouvement national sa position sur les garderies, la chasse aux phoques, les pistes cyclables, la texture du papier de toilette. Mais on ne demande jamais rien au statu quo qui pèse chaque jour sur nos vies. Et c’est ça le réél. C’est même très réél. On discute depuis 200 ans. Les autres, eux, y discutent pas, y frappent. Chaque jour. Tous les jours. On se divise, on se déchire : les hommes contre les femmes, les jeunes contre les vieux, les ouvriers contre les chômeurs. À l’infini. Projet de société, mon cul! Vous en avez un, vous, un projet de société? Vous l’avez, vous, la solution? Alors, sortez-la vite, ça presse. Sinon, c’est pas la peine. Faudrait fermer sa gueule et ramer. En ramant, on finira bien par s’organiser. « Oui mais j’aime pas le capitaine. Il est trop gros. Il est trop souriant. Pas assez près du peuple. Trop intellectuel. Trop à gauche. Trop à droite. Trop ceci. Pas assez cela. » Décidément notre recherche d’un messie ne nous quittera donc jamais. On cherche encore un chef. On a besoin d’un chef pour nous dire quoi faire. Mais on s’en crisse du chef. L’important c’est ce qu’il y a dans la tête et le cœur des matelots. S’il n’y a rien, tant pis. Mais s’il y a une volonté à toute épreuve, une détermination sans faille, une vision claire, le chef va suivre. L’important c’est l’équipage, le peuple, pas le chef. L’important c’est chacun de nous. Nous sommes prisonniers de notre propre lâcheté, de notre propre paresse. Prisonniers de notre mollesse, de notre faiblesse, de notre insignifiance, de notre manque de créativité. Notre pire ennemi est en nous. Les barreaux sont dans nos têtes. Nous traînons nos boulets dans nos cerveaux. Les murs de notre prison sont dans nos têtes. D’abord, sortir de prison. D’abord arracher les barreaux. Le reste, on verra plus tard. La liberté d’abord. La liberté tout de suite. La liberté. Ou la mort… »

Pierre Falardeau, Extrait de La liberté n'est pas une marque de yogourt

samedi 10 janvier 2015

Les pleureuses

« Je n’étais pas à la manifestation spontanée du 7 janvier. Des gens ont chanté la Marseillaise. On parle de la mémoire de Charb, Tignous, Cabus, Honoré, Wolinski : ils auraient conchié ce genre d’attitude. Les gens s’expriment comme ils veulent mais il ne faut pas que la République ressemble à une pleureuse de la Corée du Nord. Ce serait dommage. » - Luz

samedi 3 janvier 2015

La maison

C'est dans une maison qu'on est seul. Et pas, au-dehors d'elle mais au-dedans d'elle. Dans le parc il y a des oiseaux, des chats. Mais aussi une fois, un écureuil, un furet. On n'est pas seul dans un parc. Mais dans la maison, on est si seul qu'on en est égaré quelquefois. C'est maintenant que je sais y être restée dix ans. Seule. Et pour écrire des livres qui m'ont fait savoir, à moi et aux autres, que j'étais l'écrivain que je suis. Comment est-ce que ça s'est passé? Et comment peut-on le dire? Ce que je peux dire c'est que la sorte de solitude de Neauphle a été faite pour moi. Pour moi. Et que c'est seulement dans cette maison que je suis seule. Pour écrire. Pour écrire pas comme je l'avais fait jusque-là. Mais écrire des livres encore inconnus de moi et jamais encore décidés par moi et jamais décidés par personne. Là j'ai écrit Le Ravissement de Lol V. Stein et Le Vice-Consul. Puis d'autres après ceux-là. J'ai compris que j'étais une personne seule avec mon écriture , seule très loin de tout. ça a duré dix ans peut-être, je ne sais plus, j'ai rarement compté le temps pâssé à écrire ni le temps tout court. J'ai compté le temps passé à attendre Robert Antelme et Marie-Louise ma jeune sœur. Après je n'ai plus rien compté.

Marguerite Duras, Extrait de Écrire

Jour de l'an


10236


L'écriture

Ça rend sauvage l'écriture. On rejoint une sauvagerie d'avant la vie. Et on la reconnait toujours, c'est celle des forêts, celle ancienne comme le temps. Celle de la peur de tout, distincte et inséparable de la vie même. On est acharné. On ne peut pas écrire sans la force du corps. Il faut être plus fort que soi pour aborder l'écriture, il faut être plus fort que ce qu'on écrit. C'est une drôle de chose, oui. C'est pas seulement l'écriture, l'écrit, c'est les cris des bêtes la nuit, ceux de tous, ceux de vous et de moi, ceux des chiens. C'est la vulgarité massive, désespérante de la société. La douleur, c'est Christ aussi et Moïse et les pharaons et tous les juifs, et tous les enfants juifs, et c'est aussi le plus violent du bonheur.

Marguerite Duras, Extrait de Écrire

Vénus


jeudi 1 janvier 2015

Journal

J’ai retrouvé ce Journal dans deux cahiers des armoires bleues de Neauphle-le-Château.

Je n’ai aucun souvenir de l’avoir écrit.

Je sais que je l’ai fait, que c’est moi qui l’ai écrit, je reconnais mon écriture et le détail de ce que je raconte, je revois l’endroit, la gare d’Orsay, les trajets, mais je ne me vois pas écrivant ce Journal. Quand l’aurais-je écrit, en quelle année, à quelles heures du jour, dans quelle maison? Je ne sais plus rien.

Ce qui est sûr, évident, c’est que ce texte-là, il ne me semble pas pensable de l’avoir écrit pendant l’attente de Robert L.

Comment ai-je pu écrire cette chose que je ne sais pas encore nommer et qui m’épouvante quand je la relis. Comment ai-je pu de même abandonner ce texte pendant des années dans cette maison de campagne régulièrement inondée en hiver.

La première fois que je m’en soucie, c’est à partir d’une demande que me fait la revue Sorcières d’un texte de jeunesse.

La douleur est une des choses les plus importantes de ma vie. Le mot« écrit» ne conviendrait pas. Je me suis trouvée devant des pages régulièrement pleines d’une petite écriture extraordinairement régulière et calme. Je me suis trouvée devant un désordre phénoménal de la pensée et du sentiment auquel je n’ai pas osé toucher et au regard de quoi la littérature m’a fait honte.

Marguerite Duras, Extrait La douleur

Le camion blanc