Dans le paysage actuel de la précarité à laquelle sont soumis les créateurs, il est souvent difficile de résister à la tentation de la réussite au sens médiatique et économique du terme. Le piège vient de ce que cette réussite désirée donne l’illusion qu’on y trouvera le pouvoir de faire ce que l’on veut, et donc d’être libre. Le réglage est complexe entre le pouvoir dont on a besoin pour créer et l’autonomie que l’on veut préserver face à ceux qui fournissent les moyens mêmes de la survie et de la création. Cela ressemble énormément au conflit de Socrate avec les sophistes. Les sophistes prétendaient enseigner l’art de réussir et de prendre le pouvoir et Socrate dénonçait la perte de la vérité, c’est à dire en dignité et en liberté, que cet enseignement lucratif entraînait. Socrate a laissé sa peau dans ce combat. L’argent et le pouvoir conquis par la capacité de manipuler par la parole puis, à partir de l’ère chrétienne, par le spectacle est un vieille histoire qui ne s’est non seulement pas interrompue mais qui a pris désormais une ampleur sans précédent avec le déploiement du capitalisme financier et spectaculaire.
Marie-José Mondzain, Extrait d'Un théâtre résolument physique
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