Rechercher sur ce blogue

lundi 26 janvier 2015

Questionner l'ornement

J’aime bien l’expression « questionner l’ornement » car elle fait entendre d’emblée que si nous pouvons l’interroger, c’est qu’il peut répondre lui-même à notre question et qu’il est peut-être même la réponse à la question que nous nous posons. Autrement dit l’ornement parle, il s’adresse à nous en tant que sujet parlant depuis son apparent silence et sa fausse insignifiance. Ne serait-ce pas la ruse de l’ornement que de se présenter sous la figure du détail aléatoire, fruit d’une imagination frivole et dépensière, alors qu’il se peut qu’il soit la ruse même, celle qui déjoue un autre imaginaire écrasant et carcéral, celui de la nécessité ? Il nous fait signe et en lui se joue en effet un régime de l’adresse. Dans son usage courant, le terme semble désigner un état des choses qui doit son existence à autre chose que lui-même. Le verbe orner attend son complément d’objet, comme tout attribut ou qualité qui se tient au titre de supplément sur la base qui lui procure à la fois son occasion et son support. Extraite de son ornement, la chose ou la parole seraient à la fois nudité essentielle de la chose même et support de ce qui compose occasionnellement le masque de sa séduction ou de son charme. Or dès que l’on fait allusion à la nudité originelle de la chose même, à la substance ou au substrat, le philosophe se demande jusqu’où l’on doit pousser les limites de la nudité. C’est que la philosophie n’a cessé de questionner ce dessous des choses, cette réalité substantielle qui, pour être imaginaire, voire même idéale, n’en passe pas moins pour avoir la consistance ontologique d’une présence non perceptible mais à proprement parler supposée. L’essence inaperçue exigerait une sorte de dépouillement tout en attendant de ce qui la masque les conditions de sa visibilité. Que la chose même, que le substrat ou le support en soi existe ou non, l’ornement, lui, semble donc échapper à toute participation nécessaire et essentielle. Dire qu’il est accident signifie bien qu’il change, se transforme, ou peut disparaître sans que la chose ornée, elle, change de nature ou cesse d’exister. L’ornement voilerait à tort ou à raison un régime intrinsèque du réel qui se trouve de ce fait dans une situation paradoxale. En effet, ce qui vient couvrir la substance intrinsèque du monde serait dans le même mouvement ce qui la dérobe au regard tout en la rendant visible.

Marie-Josée Mondzain, Extrait de Questionner l’ornement

Aucun commentaire:

Publier un commentaire