C’est que le sujet se constitue lui-même dans son rapport à l’image, à son image et à celle du monde qu’il ne voit pas bien à sa naissance mais dont il éprouve aussitôt la présence sensorielle et qu’il va apprendre à voir pour arriver un jour à se voir et accéder ainsi à sa parole. De quelle façon, ce qui se constitue du sujet de la pensée et du sujet de la parole provient de la construction de sa propre image, se construit sur ce qui lui permet dans l’usage qu’il fait de ses yeux d’éprouver la rencontre qu’il fait d’un autre regard ? C’est cette expérience de l’autre, de l’altérité qui prend naissance dans l’exercice du regard et qui va le conduire de séparation en séparation comme on franchit des épreuves successives. Car nous sommes séparés de notre image, mon image n’est pas moi, même si je peux me reconnaître et dire c’est moi. L’image est à la fois ce qui permet au sujet de s’identifier dans la rencontre qu’il fait de sa propre image, mais de le faire dans l’expérience d’une séparation d’avec lui-même, d’un clivage. Le regard sépare et rejoint. Sous ce registre, l’image est un opérateur d’identité, dans une opération de séparation qui fait de cette identité une expérience d’altérité non seulement entre moi et l’autre, mais c’est à l’intérieur de moi-même que l’image me met à l’épreuve de mon propre dehors.
Pourquoi est-ce que je rappelle ces fondements de la réflexion sur l’image ? C’est sur le chemin, sur l’itinéraire et la progression de ces opérations de séparation que le sujet accède à la parole, accède à la production des signes, c’est-à-dire s’entretient avec les regards qu’il croise. Il s’agit de ce qui s’entretient entre les sujets de la parole et du regard. S’entretenir, c’est non seulement parler mais c’est désigner ce qui soutient la relation entre les sujets comme un lien « entre eux », hors d’eux. Donc, cet entretien du sujet qui est suspendu à la construction de son regard et à la mise en œuvre de sa parole, qui va lui permettre de s’entretenir avec le monde et d’entretenir avec le monde une relation qui est à la fois sensorielle et langagière. Voilà ce qui dans l’histoire des séparations que nous n’en finirons pas d’opérer tout au long de notre vie, ce qu’on pourrait appeler processus de subjectivation. La construction du site du sujet, celle de son regard sur le monde, permet en même temps de définir la nature des liens ; ce qui sépare et permet de construire le lien.
Marie-José Mondzain, Extrait de Temps et montage (1/4)
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