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vendredi 31 mai 2024

Ouvrir le corps de la parole

Jeune femme, c'est bien Duras qui m'a ouverte les oreilles de l'écrit, ce fut un grand séisme, dans le corps, très profond. Un de ceux qui rase la première parole et fait jaillir la seconde, moins vacillante. On ne pleure pas ses dents de lait. Les mots de Marguerite donnent un plein au vide, l'écrit remplissant l'outre.

J'ai eu une enfance extrêmement minimaliste dans l'échange satisfaisant avec l'autre. Est-ce mon milieu qui m'a fait sauvage ou bien est-ce le sauvage qui habite mon centre depuis ma naissance? J'y reviens toujours car je n'ai aucune idée sur cette question. Chose certaine, je connais le vide intimement comme l'autre, un autre que moi, connait le plein.

Luc, l'Amoureux, l'époux m'a fait connaître un autre lieu. Le nouveau monde. Foisonnant, nourrissant, satisfaisant. Sa mort me laisse un vide plein. Cette empreinte est totalement nouvelle pour moi, pas moins douloureuse, car mon âme ne souhaite que retrouver ce festin gras, mais ce nouvel espace m'offre plus de viabilité que l'ancien monde. Dans ce manque effroyable, il reste tous nos mots, sa parole claire, c'est mon trésor le plus précieux. "Y'a rien" n'existe plus.
« On dit toujours, s’il n’y a pas de sel, y’a rien. Moi, ça prend des formes extrêmes… S’il n’y a pas de citron, y’a rien… S’il n’y a pas de thé, s’il n’y a pas d’Earl Grey, y’a rien… A la rigueur il pourrait ne pas y avoir de pain, mais s’il n’y a pas de pommes, alors par exemple, y’a rien du tout… S’il n’y a pas de sauce indochinoise, je m’en vais je quitte la demeure. »
Marguerite Duras

jeudi 30 mai 2024

Passer la mort

« Ce que je recherche depuis toujours, c'est un état surgissant de la langue. Printemps se dit ici en patois « saillifeu » : ça saille, saute, sors dehors : « feu » vient de foris... Le printemps dans les Alpes n'est pas un temps de renouveau aimable, de fraîcheur, c'est un temps de violence, pulsif ; il sort de la neige comme le printemps russe : c'est une percée, un débordement soudain, une invasion... Je cherche la force germinative de la langue, son pouvoir de passer la mort. »
Valère Novarina, Extrait de Devant la parole

mercredi 29 mai 2024

Le temps de la parole

L'invitation de Guillaume à faire renaître la blogosphère a fait mouche, bien que je sache, que le défi est de taille face aux géants tentaculaires de l'immédiat. Mon espoir demeure mince, mais j'agite mon signal de fumée afin de rejoindre ceux de Mademoiselle Gambade et Mokhtar El Amraoui. J'ai des blogues depuis que ce médium existe, diverses époques et divers genres aussi; des privées, des publics, en solo, duo et même en groupe. J'y ai trouvé des liens indéfectibles, des amitiés improbables, des rencontres de l'écriture, des émois, des pensées, du voir, de la musique et des rapports sans émoticône. Ces lieux sont des courants contraires, des espaces de résiliences, face au "clic", au "scroll", au "like" et cela dans une quasi totale invisibilité. Je me dis que résister au vol du temps, c'est faire assurément des actes de patience. Et comme le disait la grande Pina Bausch: « Dansez, dansez, sinon nous serons perdus. »

vendredi 24 mai 2024

Vert des eaux

Vert des eaux

Incolore, invisible, inodore

Je cherche un couloir pour faire circuler ce qui bouillonne, s'agite, palpite. Une fissure volcanique. J'appelle l'inversion météorologique, la nuée ardente. Toi, qui éventre par ton esprit, carbonise corps par ta parole, souffle-toi de ce ciel. Dévales. Dévales et vois venir l'écho brûlant d'un courant d'air.

lundi 20 mai 2024

I Peuple inhabité

J'habite un espace ou le froid triomphe de l'herbe, ou la grisaille règne en lourdeur sur des fantômes d'arbres.

J'habite en silence un peuple qui sommeille, frileux sous le givre de ses mots. J'habite un peuple dont se tarit la parole frêle et brusque.

J'habite un cri tout alentour de moi —
pierre sans verbe —
falaise abrupte —
lame nue dans ma poitrine l'hiver.

Une neige de fatigue étrangle avec douceur le pays que j'habite.

Et je persiste en des fumées.
Et je m'acharne à parler.
Et la blessure n'a point d'écho.
Le pain d'un peuple est sa parole.
Mais point de carté dans le blé qui pourrit.

J'habite un peuple qui ne s'habite plus.

Et les champs entiers de la joie se flétrissent sous tant de sécheresse et tant de gerbes reniées. 

J'habite le spectre d'un peuple renié comme fille sans faste.

Et mes pas font un cercle en ce désert. Une pluie de visages blancs me cerne de fureur. 

Le pays que j'habite est un marbre sous la glace.

Et ce pays sans hommes de lumière glisse dans mes veines comme femme que j'aime.

Or je sévis contre l'absence avec, entre les dents, une pauvreté de mots qui brillent et se perdent.

Yves Préfontaine, Extrait de Pays sans parole

dimanche 19 mai 2024

À partir du deux

« L'amour (...) est une construction de vérité. (...) vérité sur un point très particulier, à savoir : qu'est-ce que c'est que le monde quand on l'expérimente à partir du deux et non pas de l'un ? Qu'est-ce que c'est que le monde examiné, pratiqué, vécu à partir de la différence et non à partir de l'identité ? »

Alain Badiou, Extrait de Éloge De l'amour

Gris de Payne

Je me suis demandée, si je réussissais à peindre le déchaîné avec un espace où le voir pourrait s'y tenir dans une sérénité; afin d'y être, au milieu de tout cela; sans chuter et rouler au fond du néant et bien, quel point de vue j'y gagnerais?

samedi 18 mai 2024

Ta présence

Ta présence

La Solitude

Solitude … Pour vous cela veut dire seul,
Pour moi – qui saura me comprendre ?
Cela veut dire : vert, vert dru, vivace tendre,
Vert platane, vert calycanthe, vert tilleul.

Mot vert. Silence vert. Mains vertes
De grands arbres penchés, d’arbustes fous ;
Doigts mêlés de rosiers, de lauriers, de bambous,
Pieds de cèdres âgés où se concertent
Les bêtes à Bon Dieu ; rondes alertes
De libellules sur l’eau verte…

Dans l’eau, reflets de marronniers,
D’ifs bruns, de vimes blonds, de longues menthes
Et de jeune cresson ; flaques dormantes
Et courants vifs où rament les « meuniers » ;
Rainettes à ressort et carpes vénérables ;
Martin-pêcheur… En mars, étoiles de pruniers,
De poiriers, de pommiers ; grappes d’érables.
En mai, la fête des ciguës,
Celle des boutons d’or : splendeur des prés.
Clochers blancs des yuccas, lances aiguës
Et tiges douces, chèvrefeuille aux brins serrés,
Vigne-vierge aux bras lourds chargés de palmes,
Et toujours, et partout, fraîche, luisante, calme,
L’invasion du lierre à petits flots lustrés
Gagnant le mur des cours, les carreaux des fenêtres,
Les toits des pavillons vainement retondus…
Lierre nouant au front du chêne, au cou du hêtre,
Ses bouquets de grains noirs comme un piège tendu
À la grive hésitante ; vert royaume
Des merles en habit – royaume qui s’étend
Ainsi que dans un parc de Florence ou de Rome
En nappes d’émeraude et cordages flottants…
Lierre de cette allée au porche de lumière
Dont les platanes séculaires, chaque été,
Font une longue cathédrale verte – lierre
De la grotte en rocaille où dorment abrités
Chaque hiver, les callas et les cactus fragiles ;
Housse, que la poussière blanche de la ville
Givre à peine les soirs de très grand vent – pour moi,
Vert obligé des vieilles pierres,
Des arbres vieux, des toits qui penchent, des vieux toits –

Un château ? Non, Madame, une gentilhommière,
Un ermitage vert qui sent les bois, le foin,
Où les bruits de la route arrivent d’assez loin
Pour n’être plus qu’une musique en demi-teintes.
Un train sur le talus se hâte avec des plaintes,
Mais l’horizon tout rose et mauve qu’il rejoint
Transpose le voyage en couleurs de légende.
On regarde un instant vers ces trains qui s’en vont
Traînant leur barbe grise – et c’est vrai qu’ils répandent
Un peu de nostalgie au fil de l’été blond…

Mais le jazz des moineaux fait rage dans les feuilles,
Les pigeons blancs s’exaltent, le cyprès
Est la tour enchantée où des notes s’effeuillent
Autour du rossignol. Du pré,
Monte la fièvre des grillons, des sauterelles,
Toutes les herbes ont des pattes, ont des ailes –
Et l’Âne et le Cheval de la Fable sont là
Et Chantecler se joue en grand gala
Jour et nuit dans la cour où des plumes voltigent.

Au clair de l’eau, c’est l’éternel prodige
Du têtard de velours devenu crapaud d’or,
De la voix de cristal parmi les râpes neuves
D’innombrables grenouilles. Le chat dort.
Dickette – chien s’affaire – et sur leur tête pleuvent
Des pastilles de lune ou de soleil brûlant.
S’il pleut vraiment, la pluie à pleins seaux ruisselants
S’éparpille de même aux doigts verts qui l’arrêtent.

Un tilleul, des bambous. L’abri vert du poète,
Du vert, comprenez-vous ? Pour qu’aux vieilles maisons
Rien ne blesse les yeux sous leurs paupières lasses.
Douceur de l’arbre, de la mousse, du gazon…
Vous dites : Solitude ? Ah ! dans l’heure qui passe,
Est-il rien de vivant plus vivant qu’un jardin,
De plus mystérieux, parfumé, dru, tenace,
Et peuplé – si peuplé qu’il arrive soudain
Qu’on y discourt avec mille petits génies
Sortis l’on ne sait d’où, comme chez Aladin.

Un mot vert… Qui dira la fraîcheur infinie
D’un mot couleur de sève et de source et de l’air
Qui baigne une maison depuis toujours la vôtre,
Un mot désert peut-être et desséché pour d’autres,
Mais pour soi, familier, si proche, tendre, vert
Comme un îlot, un cher îlot dans l’univers ?…

Sabine Sicaud, Extrait de Les poèmes

jeudi 16 mai 2024

Paysage en deux couleurs sur fond de ciel

La vie la mort sur deux collines
Deux collines quatre versants
Les fleurs sauvages sur deux versants
L'ombre sauvage sur deux versants.

Le soleil debout dans le sud
Met son bonheur sur les deux cimes
L'épand sur faces des deux pentes
Et jusqu'à l'eau de la vallée
(Regarde tout et ne voit rien)

Dans la vallée le ciel de l'eau
Au ciel de l'eau les nénuphars
Les longues tiges vont au profond
Et le soleil les suit du doigt
(Les suit du doigt et ne sent rien)

Sur l'eau bercée de nénuphars
Sur l'eau piquée de nénuphars
Sur l'eau percée de nénuphars
Et tenue de cent mille tiges
Porte le pied des deux collines
Un pied fleuri de fleurs sauvages
Un pied rongé d'ombre sauvage.

Et pour qui vogue en plein milieu
Pour le poisson qui saute au milieu
(Voit une mouche tout au plus)

Tendant les pentes vers le fond
Plonge le front des deux collines
Un de fleurs fraîches dans la lumière
Vingt ans de fleurs sur fond de ciel
Un sans couleur ni de visage
Et sans comprendre et sans soleil
Mais tout mangé d’ombre sauvage
Tout composé d’absence noire
Un trou d’oubli – ciel calme autour.

Hector de Saint-Denys Garneau, Extrait de Regards et jeux dans l'espace

mercredi 15 mai 2024

Petit, grandiose, sale

« Petit, grandiose, sale, immense, élevé, cancéreux, le monde, effrayant et fracassant, et aussi mesuré et délicat, le monde, à la mesure et à la démesure de l’homme, réduit aux signes, brisant les signes, facile à imiter, facile à rendre fou, le monde, la terre, la vie, les arbres aux petites branches, les oiseaux, les feuilles, les plaques de boue, les marais, les crapauds assis, les blancs calices, les mouches moustiques, le monde, les armées de fauves, le sang épais, noir, âcre, luisant, qui sèche en croûtes et qui nourrit les espèces voraces, le monde, les mouvements de lumière et les glissements des atomes, les bombardements du soleil et les trous dans l’espace, tout, absolument tout me frappe, me pétrit, m’humilie, me jette face contre terre, […] le monde où jamais ne viendra la réponse à l’ignoble question : ‘Et après? Et plus loin? Et plus tard?’ »

J.M.G. Le Clézio, Extrait de L’extase matérielle

mardi 14 mai 2024

Pluie printannière

Pluie printannière

Thésis ou temps frappé de la mesure

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Surprendre les motifs souterrains de l'inlassable

« Il me semble alors découvrir pourquoi de telles images exercent sur l'esprit une si puissante fascination, surprendre les motifs souterrains de l'inlassable et déraisonnable ardeur qui pousse l'homme à doter d'un sens toute apparence dépourvue de signification, à partout guetter des correspondances et à les créer où elles manquent. Je discerne là l'origine de l'invincible attrait de la métaphore et de l'analogie, les raisons d'un étrange et permanent besoin d'identifier. Je me retiens à peine d'y soupçonner une antique et diffuse aimantation, l'appel du centre, le souvenir obscur, presque aboli, ou le pressentiment, inutile chez un être aussi chétif, de la syntaxe générale. »

Roger Caillois, L'écriture des pierres

vendredi 10 mai 2024

Géorama

Ce matin devant l'aube rougeoyante, je cartographiais mes joies, celles avec un contour net, les limpides pas les floues, où du moins essayer de bien les répertorier par ordre de transparence, du solide au plus fluide. L'idée de construire un petit géorama à ce sujet me semble vitale. Ce genre de pensée tient mes jours. Et puis j'aime bien les listes, les énumérations de petits riens essentiels.

Aube dorée

« Je n'ai qu'une seule sauvagerie, celle de l'aube dorée fulgurante et musicale qui ne reste qu'une seule heure à inonder un seul paysage, et chaque désir me donne l'illusion d'être aux premiers temps de la création, d'être avant la rigidité de la vieillesse. Une couleur baroque emplit la pièce et ranime tous les rêves, tous les rythmes introuvés d'un chant parfait. (Le spectacle de la beauté est fatiguant.) Si je laissais mes yeux et mes mains je n'aurais plus rien, de l'autre côté du désir il n'y a pas la sérénité, il n'y a rien. Rien. »

Marie Uguay, Extrait de Journal

jeudi 9 mai 2024

L'idée de la flamme

L'idée de la flamme

J'arrive à la ville

Voilà un temps irrégulier
en trajectoires d'or et de rose
indispensable à ma rêverie accoutumée
un temps inégal et baroque
avec de grandes bouffées
proches de la pluie
lors des nuits édentées de juillet

Les blessures étaient faciles
à force de tant de douceur salvatrice
maintenant nous ne pourchassons plus
aucun épanchement de l'atmosphère
avant le seuil limbé de nos silences

Je vous désir de nulle part
d'aucun mot décisif
mais d'une supplication invisible
où convergent tous les sentiments exaltés

Ô l'inutile quand tout se disloque et s'émeut
lorsque quelques propos s'entachent d'incertitude et d'adoration
et que vous vous éloignez avec de lointaines giboulées de bleu 

Une certaine lenteur m'est venue
tandis que tout s'ouvrait
vers une incroyable mer
tandis que vos yeux grisonnaient
et que vous passiez attendri
mais indescriptible
une certaine lenteur
cette aumône de temps
cette appréhension du cœur

Je vous regarde    je n'ose rien
pour cette vision qui s'en va et me défait
ni pour ces masques diurnes
lourds comme des armures

Je reste immobile

Un iris balance ses pétales mauves
le soleil s'y noie
et toute une lourdeur de début ou de fin de jour
s'est installée dans mon corps
je suis démantelée
sans plus d'appréhension et de mémoire
que cette lumière qui sombre
Je n'ai aucune promptitude
je suis là déchaînée mais inerte
Il n'y a plus que cette brisure ensoleillée
cette blanche impulsion où la vie se déploie
cet instinct de la lumière
où tout vous constate en secret

La grand ville métamorphose s'élance
dans le blanc roide de l'hiver
ou de ses gratte-ciel aux vitre magiciennes
(Derrière une fenêtre le dos détendu
d'une chaise de paille
évoque le tressage heureux
d'un quelconque voyage au soleil)

Sur le noir le bouleau est un signe amoureux
une rivière divisible et l'attente
sa blancheur semble fendre une nuit lucide
De tous ces jours et de toutes ces nuits malades
je n'ai gardé que le harcèlement de mon amour
que cette destruction monotone du ciel
que ce lent étouffement de mes sens
Je ne reconnais plus mon corps
je suis entrée dans un univers maladroit
habité uniquement par la trépidation des rues

Marie Uguay, Extrait de Journal 

mercredi 8 mai 2024

Revoir New York

« Je voudrais que les prochaines circonstances du désir soient plus attachées à Montréal et sa banlieue, et à toutes l'atmosphère de l'Amérique du Nord. J'aime la côte maritime du Maine et je rêve de revoir New-York. J'ai la soif avide d'un été de bitume, de soleil cru et d'espaces à n'en plus finir. Un goût de ne pas rencontrer la beauté, mais la vie grouillante, informe, inesthétique, misérable comme la mienne, se débattant amèrement comme la mienne. Abrupte, violente, métallique, artificielle dans ses apparences. J'ai le goût de dire ce que ma culture de m'a jamais dit. Connaître les États-Unis jusqu'au Mexique, les hôtels climatisés, les autoroutes, tout ce qui avant me choquait et à quoi maintenant je m'identifie. »

Marie Uguay, Extrait de Journal

mardi 7 mai 2024

Percevoir

« Percevoir consiste donc en somme à condenser des périodes énormes d’une existence infiniment diluée en quelques moments plus différenciés d’une vie plus intense et à résumer ainsi une très longue histoire. Percevoir signifie immobiliser. »

Henri Bergson, Extrait de Matière et mémoire : Essai sur la relation du corps à l'esprit

jeudi 2 mai 2024

Symbolique de la route

« Comment se fait-il qu'il soit si difficile parfois de décider du but de la promenade ? Je crois qu il y a dans la nature un magnétisme subtile qui, à condition que nous nous laissions inconsciemment mener par lui, nous conduira sur la bonne voie. L'orientation que nous donnons à notre marche n'est pas sans importance. Il y a une direction qui est bonne. Mais, par inattention pu stupidité, nous sommes enclins à prendre la mauvaise. Nous aimerions bien faire la promenade que nous n avons jamais faite dans le monde réel, et qui est parfaitement symbolique de la route que nous aimons suivre dans le monde intérieur idéal. Nous trouvons parfois difficile de choisir le sens dans lequel nous voulons parfois aller, parce que nous n avons pas encore une idée bien nette. »

Henry D. Thoreau, Extrait de Marcher