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lundi 20 mai 2024

I Peuple inhabité

J'habite un espace ou le froid triomphe de l'herbe, ou la grisaille règne en lourdeur sur des fantômes d'arbres.

J'habite en silence un peuple qui sommeille, frileux sous le givre de ses mots. J'habite un peuple dont se tarit la parole frêle et brusque.

J'habite un cri tout alentour de moi —
pierre sans verbe —
falaise abrupte —
lame nue dans ma poitrine l'hiver.

Une neige de fatigue étrangle avec douceur le pays que j'habite.

Et je persiste en des fumées.
Et je m'acharne à parler.
Et la blessure n'a point d'écho.
Le pain d'un peuple est sa parole.
Mais point de carté dans le blé qui pourrit.

J'habite un peuple qui ne s'habite plus.

Et les champs entiers de la joie se flétrissent sous tant de sécheresse et tant de gerbes reniées. 

J'habite le spectre d'un peuple renié comme fille sans faste.

Et mes pas font un cercle en ce désert. Une pluie de visages blancs me cerne de fureur. 

Le pays que j'habite est un marbre sous la glace.

Et ce pays sans hommes de lumière glisse dans mes veines comme femme que j'aime.

Or je sévis contre l'absence avec, entre les dents, une pauvreté de mots qui brillent et se perdent.

Yves Préfontaine, Extrait de Pays sans parole

4 commentaires:

  1. Qu'il est beau ce texte...! Merci pour ce partage et toutes les découvertes merveilleuses que l'on peut faire en parcourant ton blog

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    1. Merci Marie, ce fut une découverte pour moi aussi. Ce qui est rassurant dans l'écriture comme dans la littérature, c'est que les lieux inconnus soient sans fin. Je te souhaite une belle journée.

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  2. Merci Mylène pour ce voyage littéraire !

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