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lundi 16 décembre 2024

Écrire c'est encore espérer

« Il n'a pas le choix, d'ailleurs, d'essayer ou de ne pas essayer : le temps presse, le danger grandit, la mort frappe. La conscience une fois mise en marche, ne peut plus s'apaiser. Il s'agit désormais d'un sursis. Cet homme est dans la situation du rongeur qui doit sans cesse ronger car, s'il s'arrête, les dents lui poussent jusqu'à ce qu'il en meure. Il n'y a pas de réponse satisfaisantes. Rien n'est acquis une fois pour toutes. Les forces négatives menaçant sans cesse, il faut tout recommencer à chaque instant. Ainsi, repoussant à chaque pas sa propre mort, justifiant à chaque souffle sa propre vie, l'homme est-il amené parfois à se dépasser. Et c'est ainsi qu'il recule le mystère de la destinée humaine et qu'il rend un peu plus habitable cette terre. Écrire c'est encore espérer. »
Gatien Lapointe, Extrait de Ode au Saint-Laurent

mardi 10 décembre 2024

Une image habitable

Je cherche une image habitable

Ô que je remonte le cours du sang
Et que les quatre vents pénètrent ma demeure
Une bête réchauffe mon berceau
Un oiseau me rend mon enfance

Comment dépasser la nécessité
Faudra-t-il que je meure sans savoir?

Gatien Lapointe, Extrait de Ode au Saint-Laurent

mercredi 4 décembre 2024

Hors terre

« Tu sais, quelque chose qui n'a pas de sous-sol, de racines poussant dans la bouette, l'humus, le compost, rongé de termites et de sales parasites, sans quelque chose qui se décompose en nous, je ne sais pas si nous pourrions vivre. Il y a de l'oubli là-dedans, des convois des dix-roues remplies de souvenirs, d'actes manqués et d'autres trop bien réussis. Je ne suis pas un partisan du grand ménage du sous-sol, un petit soupirail pour laisse échapper les gaz de la décomposition, me semble suffisant pour ne pas mourir étouffé. As-tu déjà tenté de mettre des fondations sans un bon fond de terre sale, noire, à la vie microbienne invisible. Des fondations hors terre, ça n'existe pas. » 
Luc Gauvreau

mardi 26 novembre 2024

Ce projet d'existence

Tu appelles les mots,
Ces choses familières

Qui font le pont avec la vie
Contre la douleur de la perte.

Qui traversent les heures
Nues.

Les mots,
Ce projet d'existence.

Jean Royer, Extrait de Nos corps habitables

lundi 11 novembre 2024

Rumeurs du fleuve (fragments)

Quelle rumeur inondera
la peine du voyageur solitaire
je n'ai que ma voix
de fin du monde
ma voix dans la tienne, amour
au commencement de la musique
au bord du vide
la nostalgie est inutile
notait Jean-Aubert Loranger:
« à l'horizon le silence
a plus de poids que l'espace »

Quelle saison nous occupe
dans la nuit du ventre
la mort
n'est pas un mot
un silence
pourtant nous relie à la terre
un fleuve de sensations
traverse nos regards
et nous voici, avec Anne Hébert,
« les vivants et les morts en un seul chant »

La vie reste à faire
dans le mouvement humain
des fleuves qui coulent dans la plaine
« visages vrais paysages »
la poésie, disait Gilles Hénault
est mon rêve continuel
pendant que meurt le monde
ici maintenant
ou se défait de la mémoire
tendresse et rage d'eaux vertes

Jean Royer, Extrait de Nos corps habitables

vendredi 8 novembre 2024

J'ai deux mille ans

J'ai deux mille ans ma mère
Devant mes peuples ennemis
Mes océans sont sans salive
Mes arbres aux branches évidées

J'ai deux mille ans ma mère
Par temps d'un ventre déchiré
Mon cœur veille un vaisseau blessé 

Deux mille ans
Et mes volcans sont des usines
J'ai des enfants
Que mes grands enfants assassinent

J'ai deux mille ans ma mère
Vu de la lune ton sang est bleu
Et nos amours sont toutes mortes
Parlez canons de couvre-feu

J'ai deux mille ans ma mère
De 4.6 milliards d'années
Tout le nombril d'en être fier

J'ai deux mille ans ma mère
Je tiens de glace en eau salée
Comment ne pas mourir noyés
Comment reviendrons-nous à naître
Du fond des océans gelés

Paroles: Jacques Garneau, Edgar Bori

mercredi 6 novembre 2024

À Marie Uguay

Lumière vive
des jours de Montréal à ta fenêtre.

Les musiques de l'être
se cachent au fond des os

Parole coupée de nos nerfs
où s'accorde la douleur des commencements,
aimer c'est s'avoir que l'on meurt.
Comme la voix du violoncelle
chante le corps familier des choses,
« la poésie, disais-tu,
est la recherche d'un absolu très humble ».
Jean Royer, Extrait de Nos corps habitables

mardi 5 novembre 2024

Cromlech

Viendra le Temps
où incorruptible
l'âme de la pierre
s'endormira dans son éclatement

sa chute sera-t-elle Ascension?

je le sens
tu le crois
la pierre s'élèvera
convergence des fragilités du monde
creuset ascensionnel
où tout prendra sens
où tout prendra gloire
cromlech de lumière

Andrée Christensen, Jacques Flamand, Extrait de Géologie de l'intime

dimanche 3 novembre 2024

Légende de l'homme rapide

« La Légende de l’homme rapide prend place au commencement du premier millénaire: pour le spectateur, cela équivaut au “Il était une fois” des contes occidentaux. La convention occidentale date le temps à partir d’un moment décrété d’en haut, qu’il s’agisse de la naissance ou de la mort d’un dieu ou des voyages d’un prophète; pour les Inuits, la progression narrative de l’avant vers l’arrière ne comporte aucune implication révélatrice de ce genre. Le temps comme l’espace, est une zone au travers de laquelle nous nous déplaçons mais d’où nos traces s’effacent du fait même de ses déplacements. Le progrès (et c’est aussi ce que pensait Kafka) est un concept dépourvu de sens: nous avançons sur un sentier cyclique où les événements et la scène de ses événements apparaissent et réapparaissent comme étant à la fois la cause et l’effet de tout ce qui peut se passer. C’est peut-être la raison pour laquelle, chez les Inuits, l’espace et le temps de sont pas considérés comme des propriétés individuelles ni même sociales, mais comme des zones données dans lesquelles nous assumons certaines responsabilités individuelles et sociales, envers nous-mêmes et envers “l’autre social”, les animaux avec lesquels nous partageons le monde. Terre et ciel, mer et banquise, jours et nuits sont des êtres individuels et n’appartiennent à personne. Ce n’est pas pour domestiquer le paysage qu’on érige des cairns mais afin de signaler un ancien sentier qui peut servir de point de repère à une migration actuelle. De la mythologie inuit, Yves Bonnefoy a écrit que, par une vision anthropomorphique du milieu naturel et l’établissement de distinctions entre cet environnement et le milieu social, elle réfléchit et fonde un ordre et des coutumes sociales où les connexions sont essentielles – or la Légende de l’homme rapide tisse toutes sortes de connexions implicites. Aucun événement, aucun acte n’existe seul, non plus qu’aucun individu ou élément social. Le monde naturel tout entier est peuplé par une histoire complexe et dense dans laquelle tout le monde et toutes choses sont tissés ensemble, conteur et auditeur compris. »

Alberto Manguel, Extrait de La cité des mots   

dimanche 20 octobre 2024

Une lettre pour Emily

Une lettre pour  Emily

Le Vésuve à la maison

UN PORTRAIT 

Les volcans sont en Sicile
Et en Amérique du Sud
Si j'en crois ma Géographie –
Un volcan, là, tout proche
Un échelon de lave à tout instant
Suis-je prête à gravir
Un cratère que je puisse contempler –
Le Vésuve à la maison

Emily Dickinson, Extrait de Un volcan silencieux, la vie

lundi 23 septembre 2024

Ce mystère

Je tente de raconter le paysage, celui que j'observe méticuleusement depuis plus d'une semaine. Une esquisse sommaire, ne pas trop en dire, juste assez, et puis l'élan a chuté comme tombe mystérieusement le vent, bien souvent, vers la fin de l'après-midi. Le souffle; ce mystère; mouvement imprédictible du désir.

samedi 21 septembre 2024

Se taire et écrire

« Une longue épée de silence s'enfonçait parfois dans mon cœur, et je ne pouvais l'enlever sans aussitôt provoquer une hémorragie: je choisissais donc de me taire et d'écrire ce genres de phrases gouvernées par le blanc. Chacune m'était délivrante au temps où elle venait. Je n'ai jamais écrit que pou résoudre une crise, traverser une forêt, rejoindre le temps limpide dessous le temps obscur. Je n'ai jamais écrit que pour vous et pour moi, pour un « vous » et « moi » à venir, non encore apparus en ce monde où il n'y a jamais eu personne. »

Christian Bobin, Extrait de L'Éloignement du monde

mercredi 4 septembre 2024

Le cœur de l'oiseau

« L'éternité ne touche pas les choses, les êtres, leur scintillement, les pleins trop coupants, les fontaines, les vérités d'enfant aux genoux éraflés. Tout ce qui est défendu nous rend inquiets, sourds à l'origine. Sous la lumière, nous devenons encore plus irréels: la parole de pierre et le sang englué dans le torrent où nous versons jusqu'à fendre nos murailles. Boussoles étranges, fragments de vie ne captant que les fresques du vent qui se mêlent à nos souffles, libèrent les petits riens du monde, ouvrent le cœur de l'oiseau dans nos mains. »

Michèle Gagné, Extrait de Habiter ici

vendredi 23 août 2024

Coucher de soleil sur un lac

Nul autre peintre n’a rendu l’éclat du trépas aussi citronné. Observe cet espace blanchi à l’ocre gauche. Il n’y a plus aucune trace de rustre en lui, que le raffinement d’une tendresse clémentine, une peau d’orange avant la nuit. Faut-il avoir été sevré de liesse pour savoir peindre la transfiguration solaire? Je crois que si, né entièrement de la folie d’une mer. Devant la chute de l’astre qui récite qu’il n’y a pas d’expansion sans mort, de mort sans explosion; béant, laisse-le, avec souffle, se livrer aux lumières incertaines. Sun Setting over a Lake

jeudi 22 août 2024

L'arbre du peintre

L'arbre du peintre

Un passage parlé

« À l’image mécanique et instrumentale du langage que nous propose le grand système marchand qui vient étendre son filet sur notre Occident désorienté, à la religion des choses, à l’hypnose de l’objet, à l’idolâtrie, à ce temps qui semble s’être condamné lui-même à n’être plus que le temps circulaire d’une vente à perpétuité, à ce temps où le matérialisme dialectique, effondré, livre passage au matérialisme absolu – j’oppose notre descente en langage muet dans la nuit de la matière de notre corps par les mots et l’expérience singulière que fait chaque parlant, chaque parleur d’ici, d’un voyage dans la parole ; j’oppose le savoir que nous avons, qu’il y a, tout au fond de nous, non quelque chose dont nous serions propriétaire (notre parcelle individuelle, notre identité, la prison du moi), mais une ouverture intérieure, un passage parlé. »

Valère Novarina, Extrait de Devant la parole

mercredi 21 août 2024

La place

La terre bouge au bout du monde
la main sans fin dans les cheveux de l'autre.
On imagine quelques pas sur le sable;
le temps de prendre une autre route
sur la peau aimée,
le passé admis à la barre du silence
comme un nouveau souffle
pour la rotation des corps.

La brise succombe au regard.
Tu occupes la place
laissée par le passage des oiseaux.

Michèle Gagné, Extrait de Habiter ici

mardi 20 août 2024

La mangeuse de terre

Kaʻula o Keahi! Rougeoiement du feu. La mangeuse de terre avance, mais qui s'en soucie ? La toile est une fissure qui s'ouvre le temps de l'«œuvrement», après, si l'on tarde trop, s'ensuit le règne hermétique du basalte.

lundi 19 août 2024

Les ghawazi du Nord

Ondes aux teintes givrées de sumac, les ligneuses frémissent en connivence, t’offrant les plaisirs de l’arrogement des verts profonds. Mouvement suave; identique à la pulsion de croquer le miel des mélèzes; ce saisissement de toutes couleurs, tu le portes toute l’année en ton sein.

De l’effeuillage caduc, que reste-t-il à regarder, sinon l’arbre et l’arbrisseau. Rarement silencieuse, toujours à saveur d’érable et de bouleau, cette danse de la mue porte l’histoire de l’abscission et de la chute des temps.

Fluidité sonore chez les marcescentes; comptant les brises et les vents de mai; gavant l’oreille, dans un chuintement de sagattes, avant la tombée des voiles et des nuées.

samedi 17 août 2024

Sur notre île

« Au centre d'un terrible désordre, une petite aiguille d'acier, en équilibre sur sa pointe, rétablit l'horizon et un premier reflet appelle déjà le calme. Les sirènes émergent venant semer sur la grève leurs étincelantes écailles. Si la nuit est douce, la rive, dès l'aube, sera recouverte d'un bouclier à mille facettes, chacune d'elles indiquant le nom et l'emplacement d'une île inconnue. Les explorateurs qui, par hasard, viendront à passer par ici, apercevant ces indications inespérées, poursuivront infailliblement leur route à la conquête de ces îles. Tout danger de massacre ainsi écarté, nous conservons notre calme dans un désordre qui nous est de plus en plus familier. »

Roland Giguère, Extrait de l'album Thomas Hellman chante Roland Giguère

jeudi 15 août 2024

Rigi

« Sur le Rigi, on devient statue. L’émotion est immense. C’est que la mémoire n’est pas moins occupée que le regard, c’est que la pensée n’est pas moins occupée que la mémoire. Ce n’est pas seulement un segment du globe qu’on a sous les yeux, c’est aussi un segment de l’histoire. Le touriste y vient chercher un point de vue ; le penseur y trouve un livre immense où chaque rocher est une lettre, où chaque lac est une phrase, où chaque village est un accent, et d’où sortent pêle-mêle comme une fumée deux mille ans de souvenirs. »

Victor Hugo, Extrait de Lettre à Adèle, 1839

mercredi 14 août 2024

La quinceañera

La quinceañera

Comme une vague

« La légèreté comme une vague nous poursuit pour nous ramener dans les lieux peu nombreux de cette terre où, au moins une fois, nous avons été heureux. J’ai rêvé qu’il neigeait dans Nutshimit. Le vieux nom des rêves, écrit par derrière la vie, continue d’exiger sa part d’existence, que je l’entende ou pas, il souffle ses lettres anciennes dans mes yeux, dans ma bouche. »

Laure Morali, Extrait de En suivant Shimun

mercredi 7 août 2024

Thanatos versus Chaos

«La mort est passée la photo arrive après, qui contrairement à la peinture ne suspend pas le temps, mais le fixe.» À partir de l'énoncé de Mathieu Riboulet, je scrute les différences trouvées dans ma pratique photographique et picturale. Je cherche une annotation intime, une signature du regard située en arrière de l'œil, dans l'organe sensible, la rétine. 

Entre les deux techniques, la différence sont les bords. J'entends par là qu'en photographie, l'œil est encadré, dans une boîte, limitant le champ visuel sur les côtés, au-dessus et dessous; tandis qu'en peinture l'œil mobile compose avec des bords tombant dans le vide, rejouant ainsi ce fameux espace préexistant à toutes choses, celui du néant primordial.

Pensée libre

« Faut-il le répéter ? La liberté de pensée ne se trouve ni à droite ni à gauche ni même dans l'anarchisme. Elle ne loge dans aucune religion, dans aucun système politique ou philosophique, pas plus dans l'athéisme que dans la laïcité. Tout cela représente des robes, des voiles et des attaches et Pensée va toute nue, tel le jeune François d'Assise abandonnant entre les mains de l’évêque les vêtements par lesquels le prélat voulait le retenir afin de le remettre dans le chemin balisé de la droite raison. Or la liberté n'a pas raison mais elle va son allure, impertinente, juvénile, elle déjoue la barbarie comme l'esprit de productivité, l'imposture intellectuelle comme la facilité. Elle est dans ce refus de tout conditionnement et de toute appartenance, elle se trouve dans la ville et dans le désert, elle passe tel un vent dans la forêt, une tempête sur la demeure provisoire. Elle n'a pas de dévots, elle n'a pas de suiveurs mais seulement des relais. On ne voit guère ses progrès dans la conduite des hommes mais elle avance, seule. Elle n'a pas de famille, de clan ni de parti, elle ne regarde jamais son visage et les années glissent sur ses épaules de jeune fille. Elle ne veut rien prendre mais tout dénouer. Elle avance mais on ne la remarque pas; elle est si nue, tandis que les passants sont engoncés dans leurs croyances, dans leurs principes. Elle est nue, elle va son chemin, elle ne requiert nulle acclamation. »

Jacqueline Kelen, Extrait de L'esprit de solitude

lundi 5 août 2024

Concentré

« Bien souvent, des Esseintes avait médité sur cet inquiétant problème, écrire un roman concentré en quelques phrases qui contiendraient le suc cohobé des centaines de pages toujours employées à établir le milieu, à dessiner les caractères, à entasser à l’appui les observations et les menus faits. Alors les mots choisis seraient tellement impermutables qu’il suppléeraient à tous les autres ; l’adjectif posé d’une si ingénieuse et d’une si définitive façon qu’ils ne pourrait être légalement dépossédé de sa place, ouvrirait pendant des semaines entières, sur son sens, tout à la fois précis et multiple, constaterait le présent, reconstruirait le passé, devinerait l’avenir d’âmes des personnages, révélés par les lueurs de cette épithète unique. »

Joris-Karl Huysmans, Extrait de À rebours

dimanche 4 août 2024

Main matière

De ma main dans la matière; qui se retire, s'agite, s'ajoute, se déverse, frappe ou tranche; il en résulte implacablement des sillons géologiques, hydrauliques, électriques. C'est pour ces observations grandioses que je recouvre le lin, inlassablement, car dans la répétition du geste, le monde de la matière s'ouvre plus fortement que par sa représentation. Tel un sourcier, chercher la faille jaillissante, d'une lumière autre, aussi pure que celle de l'aube, aussi troublante que celle de l'entre chien et loup.

vendredi 26 juillet 2024

Le temple de Bêl

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La lumière n'est pas conçue

« Rien que pour toi, racine, pour toi, cyclone fourvoyé dans cette strate du langage, le poète a favorisé I'épaississement limoneux du sommeil où tu te ramifies. Le livre dont il est l'otage et le garant, le livre incompulsé, le livre intermittent, tourne sans hâte sur ses gonds dans la terre, et chaque page à ton attouchement prend feu, et sa substance se confond avec, le surcroît de ta sève, avec le progrès de son sang.

Perfectibilité du vide, racine de l'amour. Cette équation, je l'ai vaincue avec un océan de terre ameublie par mon souffle. »

Jacques Dupin, Extrait de Le corps clairvoyant

mercredi 24 juillet 2024

Bassin biscuit

Tu es vent qui traverse les plaques continentales. Impossible de te contenir, de te posséder. Libre, loin de l'assouvi, du repu. Pour le moment, je ne veux pas te désirer autrement. Hier, explosion thermale au bassin “biscuit”, d’après le communiqué, “il s’agit d’un incident en évolution”. Vraiment? Amour de Là-Haut, quand amèneras-tu d’autres mouvements?

Les tempêtes

« Tout va bien avec les tempêtes. Presque un soulagement. J’écoute. La corne de brume propulse ses ondulations dans le ventre. Les faisceaux du phare tournent avec régularité. De l’homme au soleil, il n’y a qu'un pas. Le doigt sur l’interrupteur, la cage d’escalier ressemble à un jeu de dominos orangé. Mon corps est l’endroit où le voyage recommence. Broyée par les vents, j’attrape la bouteille de plastique sur la table de cuisine, défais le vélo des toiles d’araignée du hangar. Le phare enfonce ses rayons dans un voile de lande. Cassure végétale des manteaux sous la tourbe. »

 Laure Morali, Extrait de Comment va le monde avec toi

mardi 23 juillet 2024

Pensée mobile

Sous le manteau de pluie, du fusain plein les poches. Devant le pays carbonisé. En face d'une homogénéité diffusant la bonne densité de noir. J'observe. Le lac immobile. Les arbres immobiles. Les roches immobiles. Sur la surface encrée de mon cerveau, il y a cette image dansante de toi. Sans fla-fla. Nu. Ton sans fard. Tendre. Enfouir la mouvance de ton corps titane dans mes mystères carbones, afin de le dater à nouveau. Pourquoi pas. Et à nouveau, le lac immobile. Les arbres immobiles. Les roches immobiles.

samedi 20 juillet 2024

Dentelle estivale

Dentelle estivale

Sans malentendu

Il y a quelque chose qui me rappelle ma langue maternelle dans la poésie. Pour être sans malentendu, je parle de la langue des signes, le LSQ. Peut-être que c'est l'éclosion de petits idéogrammes apparaissant sous les bouquets de phrases ou bien cette puissance d'évocation au cœur du concis? Je n'ai aucune certitude quant à la réponse, parfois la clarté ne se voit que dans une sorte d'imprécision. Chose certaine, les mots sont signés.

mercredi 17 juillet 2024

Papier Canson

Des teintes fauves à cette part grêleuse, tu décantes l’ensemble des nuances de ces matins où le froid danse comme la main du peintre. Le bonheur est une affaire de peu de choses. Thé fumant dans la froidure, toi, humant la bergamote et toutes ces choses du silencieux pour nous seuls.

samedi 13 juillet 2024

Brume

« Que de rêves la brume étrangère avait comblés en lui ! que de boutons elle avait fait éclore, que de curiosités et de désirs elle avait apaisés et combien elle en avait éveillés de nouveaux ! »

Hermann Hesse, Extrait de Narcisse et Goldmund

vendredi 12 juillet 2024

Voir, et voir

« Bien pauvres sont ceux qui ont besoin de mythes. Ici les dieux servent de lits ou de repères dans la course des journées. Je décris et je dis : « Voici qui est rouge, qui est bleu, qui est vert. Ceci est la mer, la montagne, les fleurs. » Et qu'ai-je besoin de parler de Dionysos pour dire que j'aime écraser les boules de lentisques sous mon nez ? Est-il même à Déméter ce vieil hymne à quoi plus tard je songerai sans contrainte : « Heureux celui des vivants sur la terre qui a vu ces choses. » Voir, et voir sur cette terre, comment oublier la leçon ? Aux mystères d'Éleusis, il suffisait de contempler. Ici même, je sais que jamais je ne m'approcherai assez du monde. »

Albert Camus, Noces suivi de L'été

jeudi 11 juillet 2024

Les Saturnales

Les Saturnales

Guagua Putina

Un vent rapace soulève la nuit, les restes de l'ouragan Beryl, se fracassent à ma fenêtre. Toute cette pluie silicate infiltrant la lourdeur estivale, une trêve, un moment d'attention vers le Grand Dehors et voilà, qu'au travers des trombes du cadavre tempétueux, j'aperçois les signaux fumerolles. Volutes. La profondeur du soir se fendille, d'une mélodie enfumée, longtemps oubliée. De ses trois cratères sommitaux, le Guagua Putina souffle enfin ses arabesques "subductives". Une certaine joie émerge.

vendredi 5 juillet 2024

Shanshui

Retrace la trajectoire et relie l'ensemble des points, leurs mouvances. Ce qui danse vers toi est la ligne du rêve, pour chaque mot, un point; voilà que tu observes la migration des lettres transcendantes, l'inscription qui traverse l'ellipse; une parcelle de l'espace est ainsi occupé, montagnes et eaux.

Nourrit le vital au vide médian, le séjour des immortels sera ainsi révélé, chaque soir, chaque matin. Ondines et dryades. Cette parole migratoire a bien le pouvoir des fractures, la puissance de scinder le paysage afin qu'émergent les morcellements. Son voir est fractal.

lundi 1 juillet 2024

Ce jour là

[...]Ce jour là j'me suis dit qu'il aurait mieux fallu rester chez moi
Ce jour là j'me suis dit qu'il aurait mieux fallu rester chez moi

- Fallu... Fallu... C'est... C'est un mot ? C'est, c'est quoi, c'est heu ? Passé compliqué ça ?
- Non il aurait, il aurait mieux fallu c'est, euh, conditionnel passé première forme. Tu vois là on aurait pu dire "il aurait mieux valu" aussi, mais, du verbe valoir. C'eut été plus élégant.
- Alors ?
- Ben, voilà.
- Alors ?

Putain, Marine le Pen, oh non

Marine le Pen, non mais
Tu le crois pas
Tu le crois pas putain
Marine le Pen, oh non
Mais Marine le Pen, non mais
Tu le crois pas
Tu le crois ça ?
Compositeur: Phillippe Katerine, Album Robots Après Tout

Regarder dans la fenêtre de temps donné

Je hante souvent les mêmes lieux à la recherche des éléments qui forgent le regard des peintres. À chaque fois, je réapprivoise ces espaces; de manière sauvage; vierges de tout regard.

Il y a un nouveau joueur qui modifie nos paysages, c’est le roseau commun (phragmite), il nuit à la biodiversité, aux terres humides, et fait disparaître notre célèbre quenouille. Depuis plus d’une dizaine d’années, je le regarde gagner du terrain en magnifique talle d’or sur nos terres, atteignant parfois des hauteurs vertigineuses. Je n’ai pas le souci d’une botaniste, mais le questionnement visuel d’une artiste, à savoir la proportion des jaunes qui recouvriront ma palette habituelle et le temps que je mettrai à oublier l’ancienne.

dimanche 30 juin 2024

Pelehonuamea

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Les quatre vents de la terre

Observe ceux qui tremblent par touches, immobiles devant les quatre vents de la terre, devant la totalité de l'espace conçu. Tout est ouvert et pourtant aucun souffle n'abîme le lieu. La terre est retournée, mais les semeurs sommeillent avec l'ivraie. De tes lieux inatteignables, le regard en plongé, écrasant les perspectives, vois-tu comme les mouvements fixes se font attendre? Il aura fallu ton passage sur terre pour faire bouger les choses avec ta faim ogre déracinant l'ancien et tes audaces ensemençant le nouveau à mesure d'appétences. Tes élans sont des madrigaux primitifs pour dieux jaloux. Avec bienveillance pour les regardeurs, demande au terrible Borée de blanchir notre décor, au pluvieux Notos de l'inonder, de ma part supplie Euros de tout balayer afin que la douceur de Zéphir berce notre point de vue. Sous le chant des huards, souhaite que notre monde retrouve le balancement indigène des iris, le fil de son histoire, de ses mythes, pour enfin qu'adviennent les aubes opalescentes.

samedi 29 juin 2024

Les étoiles

Les étoiles, les étoiles, les étoiles
Dites-moi étoile, pourquoi je vous regarde?
Les étoiles, les étoiles, les étoiles
Dites-moi, étoile qui vous regardera?

Les étoiles, les étoiles
Si seulement je savais
Dites moi étoile de qui obtenez-vous la lumière
Les étoiles, les étoiles
Vous qui êtes belle dans les cieux
Dites-moi étoile, qui vous donnera l'amour?

The stars the stars shining up above
Tell me stars who will give you love
The stars the stars lights of white and blue
Tell me stars why I look to you

Les étoiles les étoiles les étoiles
Dites-moi étoile, pourquoi je vous regarde?
Compositrice: Melody Gardot, Album My one and only thrill

vendredi 28 juin 2024

Bleu total

Le ciel est sans souci. Il est royal, d'une teinte que tu enjoliverais avec tes mots entiers. Un bleu total. Le soleil brûle déjà la cime des arbres où des oiseaux se bataillent une place dans la chorale matinale. Je n'ai aucune envie de ce dehors-là. Le désir d'écrire me tenaille et comme dirait cette chère Bérénice, « Tout m'avale ». Que restera-t-il de cette journée?

jeudi 27 juin 2024

Il y a des jours, il y a des moments

« Pourquoi la voix n'aurait-elle pas besoin de fraîcheur, comme le nageur la demande à l'eau ou le marcheur au sous-bois? Il y a des jours, il y a des moments où ton envie c'est de prononcer MIDI, CLAIRIÈRE, AILE, CIEL par fringale de lumière, par nécessité de produire un pays vocal dont le soleil serait le fournisseur. Ce pays, un poème peut le procurer. Un récit, voyage en tête, te le raconte aussi bien, pourvu qu'il se lance sur les traces du jour. Que l'un ou l'autre fasse défaut, tu te contentes d'un vocable, pense à RIVIÈRE, et voilà qu'un flux lumineux te passe par la bouche, chose et parole mêlées, jusqu'à t'envahir d'une image fidèle, claire et puissante à la disposition du promeneur immobile que tu es, les yeux fermés sur l'insaisissable... »

Ludovic Janvier, Extrait de Apparitions: Brèves