Rechercher sur ce blogue

samedi 31 mai 2014

Crazy Car

Laura qui est ma femme

Elles vous disent: tueur et homme effrayant et malheur de ma vie. Or ce sont elles, tueuses, toutes. Hier, au-dessus de son thé de Chine, Laura qui est ma femme me confiait qu'elle a fui à temps la maison de sa mère, laquelle se préparait à la faire bouillir dans un chaudron pour la manger car cette mère, car la marâtre est une femme elle aussi, donc cannibale, et, pensez-vous alors en l'écoutant, comment a-t-on pu faire un Chronos, dieu mâle qui avalait ses enfants, la figure du Temps, quand ce sont elles qui avalent tout en ce monde et souvent les enfants auquel elles ont mis, elles qui peuvent, l'air de rien, d'un coup sec, comme la dent qui hier tranchait le cordon, vous ôter tout bonnement la vie à vous aussi, cette vie qu'elles donnent, qui est leur vocation et qu'elles vous aident à chérir: l'homme n'a aucun amour naturel de la vie, contrairement à elles qu'enchantent un nouveau rouge à lèvres ou un chaton duquel s'occuper, et il faut voir comment elles l'aiment et changent les gravillons de son bac, à genoux et sublimes de tendresse.

- c'est qu'elles tuent rarement les chats.

Or donc, toutes infanticides à un moment ou un autre, de préférence celui où leur fille devient nubile, là on ne les tient plus, vengeresses, c'est le moment du grand danger pour la petite que celui du sang dans la culotte, où sous l'empire d'une terreur paléolithique, la mère se convulsionne des pieds à la tête, qui priait que ça, jamais, que ce pouvoir absolu sur l'univers lui restât à elle, qui jusque-là fermait les yeux, ne voulant rien savoir du jour de sa passation.

L'usurpatrice a maintenant très mal au ventre, il faudra pour le moins quelques années de mal au ventre mensuel avant que ça se calme, que la mère accepte, veuille tuer ailleurs, sentant alors sa progéniture hors d'atteinte et surtout de taille à l'occire elle: Parques, toutes, et cette vie, la mienne, la vôtre, celle des mâles ne vaut pas plus cher au yeux de votre aimée que celle de la femelle qui l'a mise bas, et l'aimée, la jeune Parque, si elle est très gentille, se contentera d'enfouir la vieille précédente sous cette honte qu'elle a de son âge, honte qui lui tord les jointures à chaque apparition de sa fille, longue, souple et rieuse, ce qui reste un constat suffisant pour la consumer à petit feu.

Muriel Cerf, Ogres et autres contes

vendredi 30 mai 2014

Shatsky Rise


Noir

« Le noir est comme un bûcher éteint, consumé, qui a cessé de brûler, immobile et insensible comme un cadavre sur qui tout glisse et que rien ne touche plus. »

Vassili Kandinsky, Du spirituel dans l’Art

dimanche 25 mai 2014

Ce que l'on fait voir

«Ce que l'on dit, ce que l'on écrit, ce que l'on raconte, fait intrinsèquement partie de ce que l'on fait voir. Si on donne la photo à voir sans rien dire, sans mot, comme un matériau brut, on le livre à la vision d'un autre sans construire la relation entre le voir et le faire voir par la voie de la parole et le partage de la croyance. La photo ne fait pas preuve du réel, mais elle met toujours en jeu, comme toute image, le rapport de confiance et de croyance qu'un regard a par rapport à un autre regard.»

samedi 24 mai 2014

Hedj


L'obscénité du réel

«L'obscénité du réel peut être quelque chose de lamentablement trivial : c'est la prétention de tout montrer, au lieu de retirer. Donc, comme dit Comolli pour le cinéma documentaire : « quand je vais faire un film documentaire, je commence par me demander ce que je ne vais pas montrer. Je commence par décider ce que je ne montrerai pas. » On commence par retirer, après on voit ce qu'on laisse à voir : on construit le hors-champ. Et pour la photographie, c'est pareil : il faut toujours construire son hors-champ.»

Mythical place


Les nouvelles cécités

«Si voir, c’est accéder par l’image du monde à la couleur de la vie, alors être privé d’image c’est mourir. Voir une image, ce n’est peut être pas ressusciter mais résister à tout ce qui nous anéanti. C’est bien la raison pour laquelle les dictateurs sont si soucieux de devenir les maîtres de la vision et les ennemis de l’image. Etre privé d’accès à l’image, c’est ne plus voir. Les spectacles nazi furent ainsi l’organisation de la cécité collective et ne sommes-nous pas inquiets aujourd’hui, lorsque les flux audio-visuels deviennent le marché le plus rentable dans l’organisation des nouvelles cécités.»

Marie Josée Mondzain

Black Birds

Offre de liberté

«Le pouvoir veut toujours être le pouvoir. L’autorité ne veut pas être toujours l’autorité. L’autorité donne à l’autre le pouvoir d’occuper à son tour la place de l’autorité. L’enfant prendra sa place. L’élève pourra devenir maître. Le spectateur pourra devenir créateur. Pas forcément artiste dans le domaine qu’il voit, mais sujet de son action, cause de sa pensée, cause de son action afin de se réapproprier ce que nous avons tous à égalité : une énergie inaugurale. Nous avons tous en nous la capacité de prendre la parole, de juger, de répondre de notre désir, de notre parole et de notre action. Un artiste n’est pas sans pouvoir, mais partage le pouvoir qu’il a avec celui à qui il s’adresse. On n’est pas artiste parce qu’on fait une œuvre, on est un artiste parce que celui à qui l’on s’adresse reconnaît dans l’œuvre qu’on lui adresse les propres conditions de sa liberté et de sa dignité. Plus l’œuvre qui nous est adressée est une offre de liberté, une offre du possible, plus le suspens provisoire de notre action va recueillir l’énergie d’agir... La forme que l’on donne à ce que l’on produit, crée, trahit la place et la dignité que l’on donne à celui à qui l’on s’adresse. Et la phrase de Lacan est formidable pour ça : « Le style c’est l’homme, c’est l’homme à qui l’on s’adresse. »
Marie-José Mondzain

vendredi 23 mai 2014

Carnation


Incarnata

Incarnata. Fiat lux, fiat lumen.

Pétries de chair et de lumière, il y a des formes, il y a la forme qui mange la forme, les chairs mangées, il y a la chair qu’on mange, il y a le déchiquètement, il y a qu’elles sont imprenables. Il y a qu’on voit des lueurs de lampyres, et sous la mer on ne sait quoi, regardant leurs corps quasi démembrés, il y a là des détroits des écrins et des eaux libres, des meurtres incidents, des danses sur des montagnes nocturnes, des châtiments dans des sourires d’argent, des papillons terribles, des danses, ces danses où elles se regardent danser, des pleurs où elles se regardent pleurer, des tortures que, condescendantes, elles regardent aussi car elles regardent tout sous leurs paupières basses, et des blondeurs disparues, des blancheurs de cimetière et toujours ce regard, toujours plus manifeste quand il est dérobé.

Il y a la chair des corps, le compact du corps et son évanouissement ironique, il y a d’elles ce qu’elles savent et que vous ne saurez pas, elles sont anciennes déjà et sortent de ces fresques pâles qu’ont salpêtrées les laves, gentiment nervaliennes, gentilles finalement dans leur abandon de mères immaculées.

Ces filles-là, même si vous l’avez cru, vous ne les aurez jamais approchées, vous n’aurez jamais vu comment elles peuvent dissoudre tous les contours et le vôtre en premier, elles Salomés fatales à la nudité très habillée sous les voiles car la beauté habille des vêtements de la grâce, et leurs regards sont sombrés qui disent des naufrages, et leurs cris sont immensément muets et leur cou renversé qu’elles attendent qu’on tranche, et patientes avec ça, et leurs joues sont des prairies où reposent les agneaux et leurs lèvres s’abaissent un peu pour dire qu’elle ne savent pas mais qu’elles veulent aller jusqu’à vous, qu’elles vous attendent peut-être, il y a toujours un doute.

Ce qu’il y a, c’est le précaire des jours qu’elles dénient, violentes, elles et la fraîcheur de leur corps, leur corps de pliures et de disparitions, elles et les obliques d’effroi de leurs yeux transversaux, elles qui en reviennent toujours aux premières peintures des grottes où s’imprègne le sang des mains mutilées, elles sortant du sang, vivant du sang, mourant du sang, éternelles jouissantes d’éternelle solitude. Elles surgies des fresques de villas luxueuses qu’ont rongées les braises, elles, oh qu’en dire encore, est-ce la mer qui les a recouvertes, la mer où on a jeté les testicules du Temps, elles Vénus de supermarché, Cypris au diadème, mères de l’enfant fou, elles petites filles aux cambrures de flamenco, elles aux renaissances, toujours élevées, allant toujours plus haut, naïves et brûlées, plongées dans les étangs moisis des Ophélies pauvres, elles incrédules devant leurs rondeurs de sacrifice et l’élan qui dément la vulnérabilité, elles poisseuses comme le noyau du fruit et s’émerveillant de l’être. Et encore, cette supplique de leurs lèvres, le triomphe hésitant de leur beauté, elles debout, dressées, pleines de douces embrasures, scintillantes et pensives et lentes.

La terre s’enchante de leur écorchement si pudique, des caillots de sang brillent à leurs poignets, que sont-elles que des pharaonnes embusquées, campées là dans un étourdissement, un effroi toujours intrigué. Et priantes, maudissantes, écartelées, opaques et furieuses, mille fois nées. Oh leurs énormes sourires mortuaires, oh les questions qu’elles posent pour après.

Salomé embrasse la bouche du désiré, elle comme les autres n’a vécu que le désir et sait que rien n’importe d’autre, et qu’on ne se baisse que pour ce geste-là. Oui, elles sont infiniment dédaigneuses et l’amour éclos tout autant.

Salomé embrasse la mort, elle est morte dans un sourire d’enfant, c’était la plus jolie fille de la ville. Elles sont toutes mortes à vingt ans.

jeudi 22 mai 2014

Le Zambèze


Les tours du silence

Voilà les fameuses tours du silence, pesantes comme des citernes, où les vautours qui tournoient dans le ciel trouvent leur pitance. Où en sont-elles les pourrissantes charognes déposées là pieusement par des familles de Parsis ? Les mille façons de brûler, de se décomposer, de disparaître, avec des sons, des couleurs et des odeurs différents, sur les routes d'Asie on les rencontre toutes, mais sentant rarement plus mauvais et moins séduisantes que celle-ci. Evidemment la bidoche digérée par les oiseaux ne salit rien, ni l'eau, ni la terre, ni le feu, éléments sacrés qui ne doivent être pollués à aucun prix. Des visions de rapaces grassouillets tombant comme des pierres sur leur déjeuner, enfonçant leurs serres en forme de kriss dans des orbites immobiles, choisissant les meilleurs morceaux du foie et des tripes, viande fouillée dans un frottement de plumes et de becs, me sautent aux yeux, inévitables, et si précises que je m'étonne d'échapper au dégoût. (...)

Avec une carie dans une molaire, le plus grand savant est foutu, redevient fragile carcasse souffreteuse, on n'en donnerait pas plus cher que de n'importe quel corps allongé là-haut au sommet de ces tours, ces étranges moulins à vent sans ailes, lourdes, évidentes comme un rappel à la prudence, à l'humilité, lamentable aspect de la mort obsession qui ne se laisse jamais oublier ici, où on ne la déguise pas comme une maladie honteuse sous des oripeaux noirs et des chrysanthèmes en plastique. Quotidienne, simple, elle rend à toute chose son goût et sa plénitude. A force de fixer les tours du Silence, une évidence rampante sort de dessous l'embarrassant fatras de tout ce qu'on m'a appris en Europe, le pressentiment d'un équilibre cyclique. Je me sens optimiste comme un bouddha, plein d'espoir de renaître au cœur d'un bouton de lotus au-dessus d'un étang ou dans un champ de patates en Normandie, pour devenir bouillie mélangée à la salive de la terre, et exploser en fleur à chaque printemps, particule brassée par la circulation de la vie qui germe et pourrit sans fin. 

Muriel Cerf, L'antivoyage

lundi 19 mai 2014

El Quiñon

«Les anciennes cités sont toujours là, mais à partir d’un certain degré de proximité, leur aspect prend aux yeux du voyageur une apparence semblable à celle d’une toile tendue de vieux décor de cinéma, qu’on croirait subitement vue sous un angle trahissant son artificialité, comme depuis des studios voisins désormais affectés à d’autres activités. Elles sont cernées de nouvelles villes dont la forme et la croissance indiquent leur vocation à excéder en surface et en peuplement celles du monde préexistant. Alors, la ville qu’a rejoint le voyageur en lieu et place de celle qu’il est venu chercher est celle d’un autre lointain, un lointain qui est une proximité sans distance, une formulation de familiarité, sans être pour autant la réduction à rien de tout ailleurs, mais plutôt une transformation de l’ailleurs en un nulle part partout similaire, où se trouver revient à être également, au même moment, situé dans tous les autres lieux identiques du monde, aussi distants soient-ils.»

Anthony Poireaudeau, Extrait de "Projet El Pocero"

samedi 17 mai 2014

Les secrets de mon enfance


Silicate


Le présent de la vie

«Ces personnes, du livre, je les connais. Je ne connais pas leur histoire, comme je ne connais pas mon histoire. Je n’ai pas d’histoire. De la même façon que je n’ai pas de vie. Mon histoire, elle est pulvérisée chaque jour, à chaque seconde de jour, par le présent de la vie, et je n’ai aucune possibilité d’apercevoir clairement ce qu’on appelle ainsi : sa vie.»

Marguerite Duras

Révélation Nord


Wounds

L'art de regarder ailleurs

«À notre insu, on oriente notre regard. Tout nous pousse à regarder dans telle direction donnée. On ne doit pas s'étonner d'être si nombreux à se sentir aimantés par le même sujet, ou par le même objet. Souvent un produit manufacturé ou une de ces blondes à jambes interminables qui peuplent les magazines sur papier glacé sentant le parfum industriel. Ce que les chroniqueurs de mode en foulard Hermès appellent les tendances de la saison. Cela touche aujourd'hui tous les aspects de la vie, même les plus intimes. Tout es tendance, comme on dit. L'inventeur de cette manière de voir, de sentir et de rêver la même chose au même moment que l'autre, c'est bien Saint Exupéry quand il définit ainsi l'amour: «Aimer, ce n'est pas se regarder l'un l'autre, c'est regarder ensemble dans la même direction.» Et l'horizon indépassable de notre temps, c'est le poste de télé. Il est grand temps de se mettre à la fenêtre pour regarder cette fois la pluie tomber.»

Dany Laferrière, Extrait "L'art presque perdu de ne rien faire"

lundi 12 mai 2014

L'île des réfugiés


Repos


Tokyo

«Quand on prend le temps de penser aux siècles d'histoire et d'intrigues que recèle le plus minuscule idéogramme, comment ne pas se rendre compte de sa propre insignifiance ? Les kanji étaient pour moi d'une sublime logique. Je comprenais pourquoi le symbole de l'oreille accolé à celui de la porte voulait dire "entendre". Je comprenais pourquoi le symbole de trois femmes regroupées signifiaient "bruyant" et aussi pourquoi, en traçant des éclaboussures à la gauche de n'importe quel caractère, on modifiait son sens en lui associant l'idée de l'eau. Enrichi de ce signe aquatique, par exemple, un champ devenait la mer.»
 Mo Hayder, Extrait "Tokyo"

Perforation


L'âme est feu


L'art abstrait est ce qui reste après que la voix se soit retirée

«Le retrait de la voix est un phénomène général auquel les artistes ont été confrontés. Question d'époque. Elle s'est retirée de la peinture, elle s'est retirée de la nature, elle s'est retirée de la photographie, elle s'est retirée de l'art, bref elle s'est retirée en général. Les artistes n'ont fait que constater le processus, avec un peu d'avance comme d'habitude.

A la Renaissance, on a inventé un art sans voix, celui de la perspective géométrique. On ne s'en est pas rendu compte. La voix s'effaçait sous la science, mais s'exprimait abondamment dans la rhétorique qui entourait l'art. La question qui se pose aujourd'hui n'avait pas de sens. Longtemps on en est resté là, ce qui a donné l'académisme. Vers la fin du 19ème siècle, ce bel équilibre s'est effondré. Ça hurlait de tous les côtés, y compris dans l'image. Que s'était-il passé? Si on a désiré avec tant de violence voir revenir la voix, c'est parce qu'elle n'était plus encadrée par le discours, elle s'est mise à proliférer de façon envahissante. On a alors assisté à une sorte de dédoublement (ou de redoublement) : un monde sans voix, et un monde complètement absorbé par la voix. Entre les deux, où était passée la parole? Il a fallu un Freud pour en récupérer quelques fragments, mais la tâche est immense, et il semble bien que nous soyions de plus en plus à la portion congrue.

Ce phénomène paradoxal est généralisé. Dans l'art abstrait se développent les deux dimensions : la voix ne parle plus, mais elle vibre. Ce qui prolifère en elle, c'est sa fragilité.

Ce qui s'est retiré d'une partie de l'art revient avec encore plus de force dans une autre partie. S'il y a clivage, ce n'est pas entre art abstrait / non abstrait, c'est entre art vocal / non vocal. Il y a de l'art abstrait sans voix, comme celui de Mondrian (dans ses oeuvres les plus caractéristiques, même si, impressionné par l'Amérique, il a laissé revenir la voix dans Boogie Woogie), et il y a aussi de l'art abstrait vocal, possibilité étrange que Klee ou Kandinsky ont démontrée avec génie.»

Sébille Auch, Extrait"D'une perte de sens irrémédiable"

Assoyez-vous


dimanche 11 mai 2014

Arc volcanique

«Un arc volcanique est un ensemble de volcans s'alignant plus ou moins selon une courbe. Ils naissent de la subduction d'une plaque océanique sous une plaque continentale ou une autre plaque océanique. Dans le cas d'une subduction sous une plaque océanique, les volcans forment des îles regroupées en un archipel. La plupart des arcs volcaniques forment la ceinture de feu du Pacifique.»

Wikipédia