Barbâtre,
Dans une de tes lettres tu me racontais un souvenir de jeunesse : tu as été un jour émerveillé parce qu’un peintre chinois cuisina à Laval pour ta famille un poulet à l’eau de pluie. Les papilles curieuses en mal d’exotisme furent sans doute fort déçues, mais toi pour la première fois tu savouras l’exquise plénitude d’un monde sans saveur. J’imagine la chair blanche de l’oiseau flottant dans l’eau douce à peine troublée par la cuisson des chairs. Saveurs infinies d’un monde sans goût…
Le goût ! Ce fin mot de tous les discours sur l’art en occident depuis plus de deux siècles ! Mot qui passa de la cuisine au salon et de là au musée. La chronique gastronomique de l’art en abusa au salon et de là au musée. La chronique gastronomique de l’art en abusa ad nauseam jusqu’à provoquer les turbulences insolentes des amoureux du mauvais goût. L’art ne devint plus que question d’appétit et rien n’était assez doux, acide ou pimenté pour remettre en train les gosiers somnolents et l’estomac devenu apathique des modernes esthètes.
La mythologie chrétienne dit bien que le serpent qui tente et qui nous perd a pris la voix de qui veut faire goûter à de terribles saveurs.
Mais tout autre, m’as-tu appris, est le chemin de l’art : c’est le chemin de la fadeur. Tu m’en parlas avec des mots limpides et tu me confias un livre : le Zong Yong. De retour chez moi je l’ai ouvert à la dernière page :
«La voie suivie par l’homme de la moralité
est fade mais ne lasse pas
simple et néanmoins ornée
terne mais non sans harmonie»
Marie-José Mondzain, Lettre du 5 septembre 1993
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