«Lorsque Rango discutait de ses conversations avec Antonin Artaud, de la période où il travaillait pour son théâtre, des longues promenades dans Paris après les soirées de répétitions à l'époque où ils montaient Béatrice Cenci, et qu'il décrivait Artaud en effervescence, bouillonnant d'idées et de projets; ou bien lorsque Henry évoquait ses nuits avec June et Jean dans la pièce en sous-sol de Henry Street, je les écoutais toujours avec une sorte d'envie, de jalousie, comme si je n'avais jamais connu, ou ne connaîtrais jamais semblables nuits. Car ils avaient une manière de conter leurs expérience qui les mettait si bien en valeur qu'elles semblaient n'avoir rien en commun avec aucune de ma propre vie.
Maintenant je me suis rendu compte que j'avais connu maintes expériences semblables; elles étaient modestement enchâssées dans les pages du journal.
Mais il y avait encore une différence entre l'effet des histoires d'Henry et de Rango et les nuits ou les conversations extraordinaires que j’avais eues, et cette différence résidait dans la séparation entre le domaine de la vie proprement dite et la dramatisation car Henry et Rango avaient tous deux un don pour cela. C'était cette dramatisation qui était la cause de ce que je croyais être un contraste insurmontable avec mes expériences personnelles. J'avais le sentiment, à l'époque, que rien ne pourrait en approcher, alors que dans ma vie je connaissais des moments semblables. Ce ne fut lorsque je parvins au même pouvoir de dramatisation de ma propre vie que je pus commencer à la vivre avec un sens de l’extraordinaire. C'était cela qui me rendait si inquiète, cette disparité entre le réel et l'imaginé.»
Anaïs Nin, Extrait du Journal 1939-1944
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