« Les retombées du marteau-pilon du Creusot et les battements au ralenti du cœur de ma mère, martelant semblablement les plaques chauffées à blanc de l'invisible, rythmaient mes nuits, mes jours, mes pas. L'enfermement de la grand-mère maternelle, titubant d'un hôpital psychiatrique à l'autre, comme un gaz anesthésiait la famille. Captif d'un sort, j'ai grandit dans le noir, de loin en loin réveillé par le miracle d'un rayon de soleil passant par la fente d'un volet de fer, comme le peintre Turner faisant la nuit chez lui toute une semaine, pour ensuite claquer les volets contre le mur et retrouver la violence de la lumière originelle. Comme lui et pas comme lui: mon enfermement n'était pas voulu mais subi. Je n'ai jamais vu le paradis qu'adossé à l'enfer, en contrepoint, contrechant. Toute lumière – de parole, de visage ou de matière – m'est événement – un accident qui à chaque fois me sauve. Je ne sais rien de la vie sinon qu'elle est, dans la substance profonde, presque inatteignable, lumineuse, aérienne. L'âme est un pollen. À travers le judas de mon enfance, je regarde la lumière écrire mes livres. »
Christian Bobin, Extrait de Les différentes régions du ciel
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