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mardi 2 décembre 2014

Aromatique

Certains breuvages présentent cette particularité qu’ils perdent leur saveur, leur goût, leur raison d’être, quand on les boit autre part que dans les cafés. Chez un ami, chez soi, ils deviennent apocryphes, comme grossiers, presque choquants. Tels les apéritifs. 

Tout homme, — s’il n’est alcoolique, — comprend qu’une absinthe, préparée dans une salle à manger, est sans plaisir pour la bouche, malséante et vide. Enlevés de leur nécessaire milieu, les dérivés de l’absinthe et de l’orange, les vermouths et les bitters blessent par la brutalité de leur saveur ardente et dure. Et qui dira la liquide horreur de ces mixtures ! 

Servies dans de pâles guinguettes on dans d’opulents cafés, ces boissons fleurent les plus redoutables des vénéfices. Aiguisée par de l’anisette, assouplie par de l’orgeat ou de la gomme, devenue plus débonnaire par la fonte du sucre, l’absinthe sent quand même les sels de cuivre, laisse au palais le goût d’un bouton de métal longuement sucé par un temps mou. Les amers semblent des extraits de chicotin, rehaussés du suc de coloquinte et chargés de fiel ; les bitters rappellent des eaux de Botot ratées et rendues acerbes par des macérations de quassia et de suie ; les malagas sont des sauces longtemps oubliées de pruneaux trop cuits ; les madères et les vermouths sont des vins blancs croupis, des vinaigres traités à la gomme-gutte et aromatisés par on ne sait quelle infâme décoction de plantes !

Joris-Karl Huysmans, Les habitués de café: Suivi de Le buffet des gares, Le sleeping-car

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