Ce serait celui des champs possibilistes, celui des micro-politiques moléculaires, et aussi – puisqu’on ne se gêne pas, ici dans les formules à l’emporte-pièce – l’inconscient loin des équilibres stratifiés. Ce en quoi il diffère des autres : le premier inconscient, lié aux structures d’expression, cherche un certain type d’équilibre, d’expression, de mode de sémiotisation, d’où ses affinités avec les structures névrotiques ; le deuxième inconscient, tourné plutôt vers les dimensions de contenu, et de composantes hétérogènes que j’ai baptisées de psychotiques, est, quelque part, en contre-dépendance de l’inconscient névrotique ; l’inconscient territorial, celui de la famille, des champs territoriaux, des corps, des objets partiels, des rapports systémiques de famille, etc., est aussi, quelque part, à la recherche d’une pseudo-identité, même si cette identité est déterritorialisée à bien des égards, ne serait-ce que dans son fonctionnement systémique.
Tandis que l’inconscient machinique n’a pas de clef sémiotique en tant que telle ; il n’est pas hanté non plus par une sorte de paradis perdu, qui serait celui de l’inconscient psychotique, ni par des territoires. Il est fait de l’ensemble des possibles qui peuvent habiter toutes les dimensions de l’agencement.
Si vous voulez, par exemple, pour ceux qui ont lu l’Anti-Œdipe ce serait une dissociation de la notion d’inconscient schizo. Avec Gilles, on s’est débattu pendant des années, pour dissiper des malentendus terribles : « Quand on parle d’une entité schizophrénirque ou d’un schizophrène d’hôpital, c’est différent du processus schizo », répétions-nous. On nous disait : « Ouais, vous avez découvert une nouvelle race de révolutionnaires, les schizophrènes d’hôpital, vous nous faites bien rigoler, ce sont des gens qui sont malheureux comme les pierres ! ». Nous disions : « Oui, oui, on sait bien », mais ça tournait toujours assez mal.
L’inconscient psychotique est celui du deuxième niveau dont j’ai parlé, celui de la dimension de contenu des agencements. Tandis que le quatrième, l’inconscient machinique, est l’inconscient schizo, en tant qu’inconscient processuel.
Il y a la même possibilité, là aussi, d’une politique trou noir. Par exemple, on pourra trouver un certain type d’inconscient machinique, ayant un possible de trou noir d’une portée quasiment infinie.
L’inconscient machinique du Christianisme primitif porte un trou noir qui s’appelle le Capitalisme ; c’est la possibilité de cumuler tous les phénomènes de trou noir dans les domaines les plus hétérogènes. Il y a certaines clefs comme ça, certaines problématiques possibilistes qui se nouent dans des registres les plus différents qui soient.
À mon avis, cette quatrième dimension de l’inconscient est absolument nécessaire si, précisément, on ne veut pas que cette théorie des agencements inconscients se referme sur une nouvelle problématique systémique dans le cas de l’inconscient territorial sur une nouvelle problématique revue et corrigée par madame Pankow ou je-ne-sais-qui, et puis une schizoanalyse de rechange pour l’inconscient névrotique !
Il n’y a aucune sorte de priorité : il s’agit de quatre dimensions (5) des agencements qui, de toutes façons, sont toujours, en tant que dimensions, articulées les unes aux autres. Mais, effectivement, dans une cartographie donnée, c’est tel type de dimension, tel type de trou noir dans telle dimension, qui mènera la danse, qui prendra le contrôle de la politique de l’agencement (6) ; à l’inverse donc, d’un trou noir de type religieux, politique ou social, car il n’y a pas que cette dimension sociale dans l’inconscient machinique, il y a aussi, justement, tout ce qui relève des sémiotiques machiniques, des sémiotiques a-signifiantes (qu’il s’agisse de la musique, de la religion, des mathématiques, des sciences, etc.), et qui est porteur de dimensions de l’inconscient ; qui peut donc s’appliquer à n’importe quel autre type d’agencement.
En opposition à ce type de trou noir, des dimensions comme celles de nomadisme, d’embranchement, de créativité, de rhizome machiniques, peuvent apporter des retournements de situations, en particulier dans celles que nous connaissons, ayant affaire à des névroses, à des problèmes familiaux, et autres… On voit bien que les gens n’avaient plus la même névrose, ni familiale, ni individuelle, en mai 68, par exemple, ou pendant la révolution d’octobre. Et là, c’est bien l’incidence de l’inconscient machinique qui intervient comme telle, ce n’est pas parce que l’on a fait un transfert sur papa-Lénine ou sur Jésus-Christ-D. Cohn-Bendit, sûrement pas ! Ce n’est pas une identification, ni rien de cette nature.
Félix Guattari, Extrait de Les quatre inconscients
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