Le système nerveux vierge de l’enfant, abandonné en dehors de tout contact humain, ne deviendra jamais un système nerveux humain. Il ne lui suffit pas d’en posséder la structure initiale, il faut encore que celle-ci soit façonnée par le contact avec les autres, et que ceux-ci, grâce à la mémoire que nous en gardons, pénètrent en nous et que leur humanité forme la nôtre.
Les autres, ce sont aussi ceux qui occupent le même espace, qui désirent les mêmes objets ou les mêmes êtres gratifiants, et dont le projet fondamental, survivre, va s’opposer au nôtre. Nous savons maintenant que ce fait se trouve à l’origine des hiérarchies de dominance.
Les autres, ce sont aussi tous ceux avec lesquels, quand on leur est réuni, on se sent plus fort, moins vulnérable.
Dès que l’information technique a servi de base à l’établissement des hiérarchies, et que la finalité de l’individu a commencé à se dissocier de celle du groupe, l’individualisme forcené qui s’épanouit à l’époque contemporaine fit son apparition.
Les sociétés de pénurie possèdent vraisemblablement une conscience du groupe plus développée que les sociétés d’abondance. La conscience de groupe reparaît quand le groupe se trouve conduit à défendre son territoire contre l’envahissement par un groupe antagoniste. C’est alors l’union sacrée.
Ce qui est défendu dans « l’union sacrée », dans la guerre dite juste (elles le sont toujours), c’est avant tout une structure sociale hiérarchique de dominance.
Au moyen d’une tromperie grossière, on arrive parfois, en période de crise, à faire croire à l’individu qu’il défend l’intérêt du groupe et se sacrifie pour un ensemble, alors que cet ensemble étant déjà organisé sous forme d’une hiérarchie de dominance, c’est en fait à la défense d’un système hiérarchique qu’il défend sa vie.
Henri Laborit, Extrait de l'Éloge de la fuite
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