C’est celui de la corporéisation des champs, des territoires, des ritournelles, des paysages, des constellations micro-sociales, intra-familiales, des réseaux… Sur le versant des entités trou noir, il bascule du côté, suivant le domaine de références considéré, par exemple, des objets partiels. Et là, on retrouve une série d’intuitions autour desquelles Lacan a longtemps tourné : le Phallus est en même temps un trou noir, le regard autre est un trou noir, pour le narcissisme, etc.. On pourrait donc indexer tous les systèmes d’objets partiels de cette perspective de trou noir, considérer que toute la théorie de l’objet a de Lacan – comme tentative de dépassement des objets partiels – tend vers quelque chose qui est point d’abolition ; mais point d’abolition de quoi ?
Justement, d’une certaine dimension d’un agencement. Cela impliquerait de se détacher complètement des théories de l’étayage. L’objet partiel n’est pas partiel par rapport à une totalité qui serait celle du corps, ou celle de toute une topique libidinale, mais il est objet partiel d’une dimension d’un agencement qui comprend toutes les autres, et déjà pour commencer, celles que j’ai énumérées précédemment (4).
Donc, mise au premier plan d’un certain type de problématique, par exemple celle des objets partiels, qui ne destitue en rien le fonctionnement des autres dimensions de l’inconscient ; indexer, à chaque fois, voir en quoi un objet partiel implique toujours une certaine décompensation, une certaine politique de collapsus sémiotique. Il ne fonctionne jamais en tant que tel, en tant qu’objet total ou partiel, mais en tant qu’il indique une cessation d’un processus. Et si on était amenés à refaire une phénoménologie des objets partiels avec ces critères de territorialité, et sans doute aussi avec des critères éthologiques (ce serait absolument nécessaire), on n’arriverait certainement pas à une ordination psychogénétique des objets partiels, telle celle avancée par Freud. En particulier, sur un problème précis : le sein, pour être beaucoup plus éloigné d’un machinisme trou noir, apparaîtrait comme objet partiel beaucoup moins « régressif » que le Phallus. L’objet anal, sans doute aussi, serait dans une position « beaucoup moins régressive », si on prenait strictement des critères de territorialité, puisque, précisément, la restitution, soit comme substitut, soit dans une situation réelle, d’une territorialité à partir d’une fixation au sein maternel est, certainement, d’une tout autre nature – du point de vue de cette politique de l’effondrement des territoires, des phénomènes de trou noir, ou de catastrophe, territoriaux – que ce qui peut se passer dans une fixation anale, ou dans une fixation de castration phallique.
À mon avis, c’est une indication à suivre, parce que, en particulier, pour en revenir à la question de la névrose obsessionnelle et de l’hystérie, cela nous amènerait très certainement à considérer que la névrose obsessionnelle est, par définition, beaucoup plus proche d’un processus psychotique, donc des dimensions de l’inconscient que j’évoquais précédemment, celui du contenu. Alors qu’une névrose hystérique est peut-être d’une nature radicalement différente. Il faudrait faire, peut-être, une carte des différentes névroses ; il faudrait reprendre tout, les phobies, etc., et même en inventer d’autres, pour essayer de se libérer de cette espèce d’arrière-pensée psychogénétique néo-freudienne, qui tend à nous donner une datation (comme on va dater le Carbone 14…) des objets partiels.
J’ai parlé des objets partiels, mais j’aurais pu parler des ritournelles, des traits de visagéité, des traits de paysage, etc., qui sont, aussi, susceptibles de connaître des phénomènes de trou noir. Et, puisqu’on évoquait tout à l’heure le cas de Francis Bacon ou de Turner, voilà des peintures où le trou noir n’est pas à chercher, il est tout de suite là : chez Francis Bacon, il est dans le support même de toutes ses peintures, support-trou noir sur lequel, toujours, les personnages sont plantés, sans qu’on sache comment ils surnagent dans le tableau ; et dans les tableaux de Turner, toujours cette fente centrale où s’engouffrent, non seulement le contenu du tableau, mais aussi toute l’expression : à certains moments, le tableau fuit, littéralement, de l’intérieur…
Félix Guattari, Extrait de Les quatre inconscients
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