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mardi 25 novembre 2014

Sade ou la morale sadique du libéralisme

De nos jours, les conditions sociales se rapprochent de la vision de la société républicaine élaborée par le marquis de Sade au tout début de la Ière République. De bien des façons, celui-ci s’est montré le plus clairvoyant, et certainement le plus troublant, des prophètes de l’individualisme révolutionnaire, en proclamant que la satisfaction illimitée de tous les appétits était l’aboutissement logique de la révolution dans les rapports de propriété, la seule manière d’atteindre la fraternité révolutionnaire dans sa forme la plus pure. En régressant, dans ses écrits, jusqu’au niveau le plus primitif du fantasme, Sade est parvenu, d’une manière étrange, à entrevoir l’ensemble du développement ultérieur de la vie personnelle en régime capitaliste, qui s’achève, non sur la fraternité révolutionnaire, mais sur une société confraternelle qui a survécu à ses origines révolutionnaires et les a répudiées.

Sade imaginait une utopie sexuelle où chacun avait le droit de posséder n’importe qui ; des êtres humains, réduits à leurs organes sexuels, deviennent alors rigoureusement anonymes et interchangeables. Sa société idéale réaffirmait ainsi le principe capitaliste selon lequel hommes et femmes ne sont, en dernière analyse, que des objets d’échange. Elle incorporait également et poussait jusqu’à une surprenante et nouvelle conclusion la découverte de Hobbes, qui affirmait que la destruction du paternalisme et la subordination de toutes les relations sociales aux lois du marché avaient balayés les dernières restrictions à la guerre de tous contre tous, ainsi que les illusions apaisantes qui masquaient celle-ci. Dans l’état d’anarchie qui en résultait, le plaisir devenait la seule activité vitale, comme Sade fut le premier à le comprendre – un plaisir qui se confond avec le viol, le meurtre et l’agression sans freins. Dans une société qui réduirait la raison à un simple calcul, celle-ci ne saurait imposer aucune limite à la poursuite du plaisir, ni à la satisfaction immédiate de n’importe quel désir, aussi pervers, fou, criminel ou simplement immoral qu’il fût. En effet, comment condamner le crime ou la cruauté, sinon à partir de normes ou de critères qui trouvent leurs origines dans la religion, la compassion, ou une conception de la raison qui rejette des pratiques purement instrumentales ? Or, aucune de ces formes de pensée ou de sentiment n’a de place logique dans une société fondée sur la production de marchandises. Dans sa misogynie, Sade perçut que l’émancipation bourgeoise, portée à sa conclusion logique, serait amené à détruire le culte sentimental de la femme et de la famille, culte poussé jusqu’à l’extrême par cette même bourgeoisie.

L’auteur de La Philosophie dans le boudoir comprit également que la condamnation de la vénération de la femme devait s’accompagner d’une défense des droits sexuels de celle-ci – le droit de disposer de son propre corps, comme le diraient aujourd’hui les féministes. Si l’exercice de ce droit, dans l’utopie de Sade, se réduit au devoir de devenir l’instrument du plaisir d’autrui, ce n’est pas parce que le Divin Marquis détestait les femmes mais parce qu’il haïssait l’humanité. Il avait perçu, plus clairement que les féministes, qu’en régime capitaliste toute liberté aboutissait finalement au même point : l’obligation universelle de jouir et de se donner en jouissance. Sans violer sa propre logique, Sade pouvait ainsi tout à la fois réclamer le droit, pour les femmes, de satisfaire complètement leurs désirs, et jouir de toutes les parties de leur corps, et de déclarer catégoriquement que « toutes les femmes doivent se soumettre à notre plaisir ». L’individualisme pur débouchait ainsi sur la répudiation la plus radicale de l’individualité. Pour Sade, « tous les hommes et toutes les femmes se ressemblent ». A ceux de ses compatriotes qui voulaient devenir républicains, Sade lançait cet avertissement menaçant : « Ne croyez pas que vous ferez de bons républicains tant que vous garderez isolés dans leurs familles les enfants qui devraient appartenir à la république et à elle seule. » Ce n’est pas seulement dans la pensée de Sade mais dans l’histoire à venir si exactement préfigurée dans l’excès même, la folie et l’infantilisme de ses idées – que la défense de la sphère privée aboutit à sa négation la plus poussée, que la glorification de l’individu conduit à son annihilation.

Christopher Lasch, La Culture du narcissisme

Cap Tremblant


lundi 24 novembre 2014

Palette hivernale


4. Quelques principes

Il faut rejeter le dispositif idéologique de l’ « éthique », ne rien concéder à la définition négative et victimaire de l’homme. Ce dispositif identifie l’homme à un simple animal mortel, il est le symptôme d’un inquiétant conservatisme, et, par sa généralité abstraite et statistique, interdit de penser la singularité des situations.

On lui opposera trois thèses :

-Thèse 1 : L’Homme s’identifie par sa pensée affirmative, par les vérités singulières dont il est capable, par l’Immortel qui fait de lui le plus résistant et le plus paradoxal des animaux.

-Thèse 2 : C’est à partir de la capacité positive au Bien, donc au traitement élargi des possibles et au refus du conservatisme, fût-il la conservation de l’être, qu’on détermine le Mal, non inversement.

-Thèse 3 : Toute humanité s’enracine dans l’identification en pensée de situations singulières. Il n’y a pas d’éthique en général. Il n’y -éventuellement- qu’éthique de processus par lesquels on traite les possibles d’une situation.

Mais surgit alors l’homme de l’éthique raffinée, qui murmure : « Contre-sens ! Contre-sens depuis le début. L’éthique ne se fonde nullement sur l’identité du Sujet, pas même son identité comme victime reconnue. Dès le principe, l’éthique est éthique de l’autre, elle est ouverture principale à l’autre, elle subordonne l’identité à la différence. »

Examinons cette piste. Mesurons sa nouveauté.

Alain Badiou, Essai sur la conscience du Mal

Infinitésimaux


Courbe


3. L’homme, animal vivant ou singularité immortelle?

Le cœur de la question est la supposition d’un Sujet humain universel, capable d’ordonner l’éthique aux droits de l’homme et aux actions humanitaires.

Nous avons vu que l’éthique subordonne l’identification de ce sujet à l’universelle reconnaissance du mal qui lui est fait. L’éthique définit donc l’homme comme une victime. On dira : « Mais non ! Vous oubliez le sujet actif, celui qui intervient contre la barbarie ! » Soyons précis en effet : l’homme est ce qui est capable de se reconnaître soi-même comme victime.

C’est cette définition qu’il faut déclarer inacceptable. Et cela pour trois raisons principales.

1) Tout d’abord, parce que l’état de victime, de bête souffrante, de mourant décharné, assimile l’homme à sa substructure animale, à sa pure et simple identité de vivant (la vie, comme le dit Bichat[1], n’est que « l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort »). Certes, l’humanité est une espèce animale. Elle est mortelle et prédatrice. Mais ni l’un ni l’autre de ces rôles ne peuvent la singulariser dans le monde du vivant. En tant que bourreau, l’homme est une abjection animale, mais il faut avoir le courage de dire qu’en tant que victime, il ne vaut en général pas mieux. Tous les récits de torturés[2] et de rescapés l’indiquent avec force : si les bourreaux ou les bureaucrates des cachots et des camps peuvent traiter les victimes comme des animaux promis à l’abattoir, et avec lesquels eux, les criminels bien nourris, n’ont rien de commun, c’est que les victimes sont bel et bien devenues de tels animaux. On a fait ce qu’il fallait pour ça. Que certaines cependant soient encore des hommes, et en témoignent, est un fait avéré. Mais justement, c’est toujours par un effort inouï, salué par ses témoins –qu’il éveille à une reconnaissance radieuse- comme une résistance presque incompréhensible, en eux, de ce qui ne coïncide pas avec l’identité de victime. Là est l’Homme, si on tient à le penser : dans ce qui fait, comme le dit Varlam Chamalov dans ses Récits de la vie des camps,[3] qu’il s’agit d’une bête autrement résistante que les chevaux, non par son corps fragile, mais par son obstination à demeurer ce qu’il est, c’est-à-dire, précisément, autre chose qu’une victime, autre chose qu’un être-pour-la-mort, et donc : autre chose qu’un mortel.

Un immortel : voilà ce que les pires situations qui puissent lui être infligées démontrent qu’est l’homme, pour autant qu’il se singularise dans le flot multiforme et rapace de la vie. Pour penser quoi que ce soit concernant l’Homme, c’est de là qu’il faut partir. En sorte que s’il existe des « droits de l’homme », ce ne sont sûrement pas des droits de la vie contre la mort, ou des droits de la survie contre la misère. Ce sont les droits de l’Immortel, s’affirmant pour eux-mêmes, ou les droits de l’Infini exerçant leur souveraineté sur la contingence de la souffrance et de la mort. Qu’à la fin nous mourrions tous et qu’il n’y ait que poussière ne change rien à l’identité de l’Homme comme immortel, dans l’instant où il affirme ce qu’il est au rebours du vouloir-être-un-animal auquel la circonstance l’expose. Et chaque homme, on le sait, imprévisiblement, est capable d’être cet immortel, dans de grandes ou de petites circonstances, pour une importante ou secondaire vérité, peu importe. Dans tous les cas, la subjectivation est immortelle, et fait l’Homme. En dehors de quoi existe une espèce biologique, un « bipède sans plumes » dont le charme n’est pas évident.

Si on ne part pas de là (ce qui se dit, très simplement : l’Homme pense, l’Homme est tissé de quelques vérités), si on identifie l’Homme à sa pure réalité de vivant, on en vient inévitablement au contraire réel de ce que le principe semble indiquer. Car ce « vivant » est en réalité méprisable, et on le méprisera. Qui ne voit que dans les expéditions humanitaires, les ingérences, les débarquements de légionnaires caritatifs, le supposé Sujet universel est scindé ? Du côté des victimes, l’animal hagard qu’on expose sur l’écran. Du côté du bienfaiteur, la conscience et l’impératif. Et pourquoi cette scission met-elle toujours les mêmes dans les mêmes rôles ? Qui ne sent que cette éthique penchée sur la misère du monde cache, derrière son Homme-victime, l’Homme-bon, l’Homme-blanc ? Comme la barbarie de la situation n’est réfléchie qu’en terme de « droits de l’homme », -alors qu’il s‘agit toujours d’une situation politique, appelant une pensée-pratique politique, et dont il y a sur place, toujours, d’authentiques acteurs-, elle est perçue, du haut de notre paix civile apparente, comme l’incivilisée, qui exige du civilisé une intervention civilisatrice. Or, toute intervention au nom de la civilisation exige un mépris premier de la situation toute entière, victimes comprises. Ey c’est pourquoi l’ « éthique » est contemporaine, après des décennies de courageuses critiques du colonialisme et de l’impérialisme, d’une sordide auto-satisfaction des « Occidentaux », de la thèse martelée selon laquelle la misère du tiers-monde est le résultat de son impéritie, de sa propre inanité, bref : de sa sous-humanité. 

2) Deuxièmement, parce que si le « consensus » éthique se fonde sur la reconnaissance du Mal, il en résulte que toute tentative de rassembler les hommes autour d’une idée positive du Bien, et plus encore d‘identifier l’Homme par un tel projet, est en réalité la véritable source du mal lui-même. C’est ce qu’on nous inculque depuis maintenant quinze ans : tout projet de révolution, qualifié d’ « utopique », tourne, nous dit-on, au cauchemar totalitaire. Toute volonté d’inscrire cette idée de la justice ou de l’égalité tourne au pire. Toute volonté collective du Bien fait le Mal[4]. 

Or, cette sophistique est dévastatrice. Car s’il ne s’agit que de faire valoir, contre un Mal reconnu a priori, l’engagement éthique, d’où procédera qu’on envisage une transformation quelconque de ce qui est ? Où l’homme puisera-t-il la force d’être l’immortel qu’il est ? Quel sera le destin de la pensée, dont on sait bien qu’elle est invention affirmative, ou qu’elle n’est pas ? En réalité, le prix payé par l’éthique est un conservatisme épais. La conception éthique de l’homme, outre qu’elle est en fin de compte soit biologique (images des victimes), soit « occidentale » (contentement du bienfaiteur armé), interdit toute vision positive large des possibles. Ce qui nous est ici vanté, ce que l’éthique légitime, est en réalité la conservation, par le prétendu « Occident », de ce qu’il possède. C’est assise sur cette possession (possession matérielle, mais aussi possession de son être) que l’éthique détermine le Mal comme, d’une certaine manière, ce qui n’est pas ce dont elle jouit. Or l’Homme, comme immortel, se soutient de l’incalculable et de l’impossédé. Il se soutient du non-étant. Prétendre lui interdire de se représenter le Bien, d’y ordonner ses pouvoirs collectifs, de travailler à l’avènement de possibles insoupçonnés, de penser ce qui peut être, en rupture radicale avec ce qui est, c’est lui interdire, tout simplement, l’humanité elle-même.

3)Enfin, par sa détermination négative et a priori du Mal l’éthique s’interdit de penser la singularité des situations, ce qui est le début obligé de toute action proprement humaine. Ainsi le médecin rallié à l’idéologie « éthique » méditera en réunion et commission toutes sortes de considérations sur « les malades », considérés exactement comme l’est, par le partisan des droits de l’homme, la foule indistincte des victimes : totalité « humaine » de réels sous-hommes. Mais le même médecin ne verra nul inconvénient à ce que cette personne ne soit pas soignée à l’hôpital, et avec tous les moyens nécessaires, parce qu’elle est sans papiers, ou non immatriculée à la Sécurité sociale. Responsabilité « collective », encore une fois, oblige ! Ce qui est ici raturé, c’st qu’il n’y a qu’une seule situation médicale : la situation clinique[5], et qu’il n‘y a besoin de nulle « éthique » (mais seulement d’une vision claire de cette situation) pour savoir qu’en la circonstance le médecin n’est médecin que s’il traite la situation sous la règle du possible maximal : soigner cette personne qui le lui demande (pas d’ingérence, ici !) jusqu’au bout, avec tout ce qu’il sait, tous les moyens dont il sait qu’ils existent, et sans rien considérer d’autre. Et si on veut lui interdire de soigner pour cause de budget de l’Etat, de statistique de la morbidité ou de lois sur les flux migratoires, qu’on lui envoie la gendarmerie ! Encore son strict devoir hippocratique serait-il de lui tirer dessus. Les « commissions d’éthique » et autres ruminations sur les « dépenses de santé » et « responsabilité gestionnaire », étant radicalement extérieures à l’unique situation proprement médicale, ne peuvent en réalité qu’interdire qu’on lui soit fidèle. Car lui être fidèle voudrait dire : traiter le possible de cette situation jusqu’au bout. Ou, si l’on veut, faire advenir, dans la mesure du possible, ce que cette situation contient d’humanité affirmative, soit : tenter d’être l’immortel de cette situation.

En fait, la médecine bureaucratique sous idéologie éthique a besoin « des malades » comme victimes indistinctes ou statistiques, mais est rapidement encombrée par toute situation effective et singulière de demande. De là que la médecine « gestionnaire », « responsable » et « éthique » en est réduite à l’abjection de décider quels malades le « système de santé français » peut soigner, et lesquels il doit renvoyer, puisque le Budget et l’opinion l’exigent, mourir dans les faubourgs de Kinshasa.

[1] Médecin, anatomiste et physiologue français du XVIIIe siècle.
[2] Henri Alleg, La Question, 1958. Il n’est pas mauvais de se référer à des épisodes de torture bien de chez nous, systématiquement organisés entre 1954 et 1962.
[3] Varlam Chamalov, Kolyma. Récits de la vie des camps, Maspéro- La Découvertes, 1980. Ce livre, proprement admirable, donne forme d’art à l’éthique vraie. (Les notes sont de l’auteur.)
[4] André Glucksmann, Les Maîtres Penseurs, Grasset, 1977. Glucksmann est celui qui a le plus insisté sur la priorité absolue de la conscience du Mal, et sur l’idée que le primat catastrophique du Bien était une création de la philosophie. L’idéologie « éthique » a ainsi une part de ses racines chez les « nouveaux philosophes » de la fin des années 70.
[5] Cécile Winter, Qu’en est-il de l’historicité actuelle de la clinique ? (à partir d’une méditation de Foucault). A paraître. Ce texte manifeste, de la façon la plus rigoureuse qui soit, la volonté pensante de reformuler, dans les conditions actuelles de la médecine, l’exigence clinique comme seul référent.

Alain Badiou, Essai sur la conscience du Mal

dimanche 23 novembre 2014

La croix


2. Les fondements de l’éthique des droits de l’homme.

La référence explicite de cette orientation, dans le corpus de la philosophie classiques, est Kant[1].le moment actuel est celui d‘un vaste « retour à Kant » dont à vrai dire les détails et la diversité sont labyrinthiques. Je n’aurai ici en vue que la doctrine « moyenne ».

Ce qui est essentiellement retenue de Kant (ou d’une image de Kant, ou mieux encore des théoriciens du « droit naturel ») est qu’il existe des exigences impératives, formellement représentables, et qui n’ont pas à être subordonnées à des considérations empiriques, ou à des examens de situation ; que ces impératifs touchent aux cas d’offense, de crime, de Mal ; on ajoute à cela qu’un droit, national et international, doit les sanctionner ; que par conséquent les gouvernements sont tenus de faire figurer dans leur législation ces impératifs et de leur donner toute la réalité qu’ils exigent ; que sinon, on est fondé à les y contraindre (droit d’ingérence humanitaire, ou droit d’ingérence du droit).

L’éthique est ici conçue comme capacité a priori à distinguer le Mal (car dans l’usage moderne de l’éthique, le Mal –ou le négatif- sont premiers : on suppose un consensus sur ce qui est barbare), et comme principe ultime du jugement, en particulier du jugement politique : est bien ce qui intervient visiblement contre un Mal identifiable a priori. Le droit lui-même est d’abord le droit « contre » le Mal. Si l’ « Etat de droit » est requis, c’est que lui seul autorise un espace d’identification du Mal (c’est la « liberté d’opinion », qui, dans la vision éthique, est d’abord liberté de désigner le Mal), et donne les moyens d’arbitrer quand la chose n’est pas claire (appareil de précautions judiciaires).

Les présupposés de ce noyau de convictions sont clairs :

1) On suppose un sujet humain en général, tel que ce qui lui arrive de mal soit identifiable universellement (bien que cette universalité soit souvent appelée, d’un nom tout à fait paradoxal, « opinion publique »), en sorte que ce sujet est à la fois un sujet passif, ou pathétique, ou réfléchissant : celui qui souffre ; et un sujet de jugement, ou actif, ou déterminant : celui qui, identifiant la souffrance, sait qu’il la faire cesser par tous les moyens disponibles.

2) La politique est subordonnée à l’éthique, du seul point de vue qui importe vraiment dans cette vison des choses : le jugement, compatissant et indigné, du spectateur des circonstances.

3) Le Mal est ce à partir de quoi se dispose le Bien, et non l’inverse.

4) Les « droits de l’homme » sont des droits au non-Mal : n’être offensé et maltraité ni dans sa vie (horreur du meurtre et de l’exécution), ni dans son corps (horreur de la torture, des sévices et de la famine), ni dans son identité culturelle (horreur de l’humiliation des femmes, des minorités, etc.)

La force de cette doctrine est, de prime abord, son évidence. On sait en effet d‘expérience que la souffrance se voit. Déjà les théoriciens du XVIIIe siècle avaient fait de la pitié –identification à la souffrance du vivant- le principal ressort du rapport à autrui. Que la corruption, l’indifférence ou la cruauté des dirigeants politiques soient les causes majeures de leur discrédit, les théoriciens grecs de la tyrannie le notaient déjà. Qu’il soit plus aisé de constituer un consensus sur ce qui est mal que sur ce qui et bien, les églises en ont fait l’expérience : il leur a toujours été plus facile d’indiquer ce qu’il ne fallait pas faire, voire se contenter de ces abstinences, que de débrouiller ce qu’il fallait faire. Il est en outre certain que toute politique digne de ce nom trouve son point de départ dans la représentation que se font les gens de leur vie et de leurs droits.

On pourrait donc dire : voilà un corps d‘évidences capable de cimenter un consensus planétaire, et de se donner la force de son imposition.

Et pourtant, il faut soutenir qu’il n’en ait rien, que cette « éthique » est inconsistante, et que la réalité parfaitement visible, est le déchaînement des égoïsmes, la disparition ou l’extrême précarité des politiques d’émancipation, la multiplication des violences « ethniques », et l’universalité de la concurrence sauvage.

[1] Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs.

Alain Badiou, Essai sur la conscience du Mal

La résistante



samedi 22 novembre 2014

1. La mort de l’Homme?

Michel Foucault avait alors fait scandale en énonçant que l’Homme, conçu comme sujet, était un concept historique et construit, appartenant à un certain régime du discours, et non une évidence intemporelle capable de fonder des droits ou une éthique universelle. Il annonçait la fin de la pertinence de ce concept, dès lors que le type de discours qui seul lui donnait sens était historiquement périmé.

De même Louis Althusser énonçait que l’historie n’était pas, comme le pensait Hegel, le devenir absolu de l’Esprit, ou l’avènement d’un sujet-substance, mais un processus rationnel réglé, qu’il nommait un « procès sans sujet », et auquel n’avait accès qu’une science particulière, le matérialisme historique. Il en résulterait que l’humanisme des droits et de l’éthique abstraite n’étaient que des constructions imaginaires –des idéologies-, et qu’il fallait s’engager dans la voie qu’il appelait celle d’un « anti-humanisme théorique ».

Dans le même temps, Jacques Lacan entreprenait de soustraire la psychanalyse à toute tendance psychologique et normative. Il montrait qu’il fallait distinguer absolument le Moi, figure d’unité imaginaire, et le Sujet. Que le sujet n’avait aucune substance, aucune « nature ». Qu’il dépendait, et des lis contingentes du langage, et de l’histoire, toujours singulière, des objets du désir. Il s’ensuivait que toute notre vision de la cure analytique comme réinstauration d’un désir « normal » était une imposture et que, plus généralement, il n’existait aucune norme dont puisse se soutenir l’idée d’un « sujet humain » dont la philosophie aurait eu pour tâche d’énoncer les devoirs ou les droits.

Ce qui était ainsi contesté était l’idée d’une identité, naturelle ou spirituelle, de l’Homme, et par conséquent le fondement même d’une doctrine « éthique » au sens où on l’entend aujourd’hui : législation consensuelle concernant les hommes en général, leurs besoins, leur vie et leur mort. Ou encore : délimitation évidente et universelle de ce qui est mal, de ce qui ne convient pas à l’essence humaine.

Est-ce à dire que Foucault, Althusser, Lacan, prônaient l’acceptation de ce qu’il y a, l’indifférence au sort des gens, le cynisme ? Par un paradoxe que nous éclaircirons dans la suite, c’est exactement le contraire : tous étaient, à leur façon, les militants attentifs et courageux d’une cause, bien au-delà de ce que sont aujourd’hui les tenants de l’ « éthique » et des « droits ». Michel Foucault par exemple s’était engagé de façon particulièrement rigoureuse sur la question des emprisonnés, et consacrait à cette question, faisant preuve d’un immense talent d’agitateur et d’organisateur, une grande partie de son temps. Althusser n’avait en vue que la re-définition d’une véritable politique d’émancipation. Lacan lui-même, outre qu’il était un clinicien « total », au point de passer le plus clair de sa vie à écouter des gens, concevait son combat contre les orientations « normatives » de la psychanalyse américaine, et la subordination avilissante de la pensée de l’american way of life, comme un engagement décisif. De sorte que les questions d’organisation et de polémique étaient à ses yeux constamment homogènes aux questions théoriques.

Lorsque les tenants de l’idéologie « éthique » contemporaine proclament que le retour à l’Homme et à ses droits nous a délivrés des « abstractions mortelles » engendrées par « les idéologies », ils se moquent du monde. Nous serions heureux de voir aujourd’hui un souci aussi constant des situations concrètes, une attention aussi soutenue et aussi patiente portée au réel, un temps aussi vaste consacré à l’enquête agissante auprès des gens les plus divers, et les plus éloignés, en apparence, du milieu ordinaire des intellectuels, que ceux dont nous avons été les témoins entre 1965 et 1980.

En réalité, la preuve a « été fournie que la thématique de la « mort de l’Homme » est compatible avec la rébellion, l’insatisfaction radicale au regard de l’ordre établi, et l’engagement complet dans le réel des situations, cependant que le thème de l’éthique et des droits de l’homme est, lui, compatible avec l’égoïsme content des nantis occidentaux, le service des puissances, et la publicité. Tels sont les faits.

L’élucidation de ces faits exige qu’on en passe par l’examen des fondements de l’orientation « éthique ».

Alain Badiou, Essai sur la conscience du Mal

Cap Tremblant


Cap Tremblant


jeudi 20 novembre 2014

Démocratie

Chez les latins, le mot démocratie signifie surtout effacement de la volonté et de l'initiative de l'individu devant celles de l'État. Ce dernier est chargé de plus en plus de diriger, de centraliser, de monopoliser et de fabriquer. C'est à lui que tous les partis sans exception, radicaux, socialistes ou monarchistes, font constamment appel.

Chez l’anglo-saxon, celui d'Amérique notamment, le même mot démocratie signifie au contraire développement intense de la volonté de l'individu, effacement de l'État, auquel en dehors de la police, de l'armée et des relations diplomatiques, on ne laisse rien diriger, pas même l'instruction. Le même mot possède donc chez ces deux peuples des sens absolument contraires.

Gustave Le Bon, Psychologie des foules

Fossile


Le succès

Tout homme qui réussit, toute idée qui s'impose, cessent par ce fait même d'être contestée. La preuve que le succès est une des bases principales du prestige, c'est que ce dernier disparaît presque toujours avec lui.

Le héros, que la foule acclamait la veille, est conspué par elle le lendemain si l'insuccès l'a frappé. La réaction sera même d'autant plus vive que le prestige aura été plus grand. La foule considère, alors le héros tombé comme un égal, et se venge de s'être inclinée devant la supériorité qu'elle ne lui reconnaît plus.


Lorsque Robespierre faisait couper le cou à ses collègues et à un grand nombre de ses contemporains, il possédait un immense prestige. Lorsqu'un déplacement de quelques voix lui ôta son pouvoir, il perdit immédiatement ce prestige, et la foule le suivit à la guillotine avec autant d'imprécations qu'elle suivait la veille ses victimes. C'est toujours avec fureur que les croyants brisent les statues de leurs anciens dieux.

Le prestige enlevé par l'insuccès est perdu brusquement. Il peut s'user aussi par la discussion, mais d'une façon plus lente. Ce procédé est cependant d'un effet très sûr. Le prestige discuté n'est déjà plus du prestige. Les dieux et les hommes qui ont su garder longtemps leur prestige n'ont jamais toléré la discussion. Pour se faire admirer des foules, il faut toujours les tenir à distance.

Gustave Le Bon, Psychologie des foules

lundi 17 novembre 2014

Orange sanguine


La réalité

J'ignore tout d'une supra réalité. La réalité contient tout ce qu'on peut savoir, car est réel ce qui agit. S'il n'y a pas d'actions, on ne remarque rien et par conséquent on ne peut rien savoir à ce sujet. Je ne puis donc affirmer quelque chose que sur ce qui est réel, mais nullement sur ce qui sera supra réel, irréel ou infra réel. À moins qu'ils ne viennent à l'esprit de limiter de quelque manière la notion de réalité, de telle sorte que seule une portion déterminée du réel universel aurait droit à l'attribut « réel ». La façon de penser que l'on appelle le sens comme et l'usage courant du langage réalise cette limitation à la réalité matérielle ou concret des objets sensibles, et cela sans tenir compte du fait que l'entendement renferme tout le possible qui ne provient pas des données des sens. À ce point de vue « est réel » tout ce qui provient ou semble provenir directement ou indirectement d'un monde accessible par les sens. Cette limitation de l'image du monde correspond à l'unilatéralité de l'homme d'Occident.

Carl Gustave Jung, Extrait de L'Âme et la Vie

La baleine verte


Weltanschauung

Toute conscience supérieure appelle une Weltanschauung (une conception du monde). Toute conscience de raison et d'intentions est déjà Weltanschauung en germe. Tout accroissement de connaissance et d'expérience est un pas de plus vers son développement. Et en même temps qu'il créait une image du monde, l'homme qui pense se transforme lui-même. L'homme pour qui est le soleil continu à tourner autour de la terre est différent de celui qui considère la terre comme un satellite du soleil. Ce n'est pas sans raison que Giordano Bruno et sa pensée de l'infini représente un des points de départ les plus importants de de la pensée moderne. L'homme dont le cosmos est suspendu à l'empyrée est différent de celui dont la vision de Kepler illumine l'esprit. Celui qui doute encore de ce que peut être le résultat de la multiplication de deux par deux est un autre homme que celui pour qui rien de plus sûr que les vérités a priori des mathématiques. En d'autres termes, n'est pas indifférent que l'on ait ou non une Weltanschauung, ni de quelle sorte elle est; car non seulement nous créons ainsi une image du monde mais, par un choc en retour, cette image du monde nous transforme à son tour.

Carl Gustave Jung, Extrait de L'Âme et la Vie

Le point de démence de quelqu'un

samedi 15 novembre 2014

Là où l'amour règne

Là où l'amour règne, il n'y a pas de volonté de puissance et là où domine la puissance, manque l'amour. L'un est l'ombre de l'autre.

Il n'est à mon avis caractéristique pour notre psychologie qu'au seuil de l'époque nouvelle se rencontrent deux penseurs qui devaient exercer sur les cœurs et les esprits de jeune génération une influence considérable: Wagner et Nietzsche; le premier, défenseur de l'amour, fait retentir dans sa musique toute l'échelle sentimentale de Trissant, jusqu'aux bas-fonds de la passion incestueuse, et de Tristan jusqu'au sommet de la spiritualité du Graal ; le second est l'avocat de la puissance et de la volonté victorieuse de l'individu. Wagner se rattache dans son expression la plus noble à la légende du Graal, comme Goethe et Dante ; Nietzsche au contraire, idée d'une caste et d'une morale des maîtres, comme le Moyen Age en avait plus d'une fois réalisé dans les personnages de nombreux chevaliers héroïques à la blonde chevelure. Wagner brise les liens qui entravaient l'amour, Nietzsche brise les «tables de valeur» qui étranglent l'individualité. Tous deux tendent vers des buts analogues, mais ils provoquent l'irréparable scission, car là où règne l'amour, la puissance individuelle n'a nul pouvoir, et là où domine cette puissance, il n'y a point d'amour.

Il est difficile de croire que ce monde si riche puisse être pauvre au point de ne pouvoir offrir un objet à l'amour d'un être humain. Il offre à chacun un espace infini. C'est bien plutôt l'incapacité d'aimer, qui enlève à I'homme ses possibilités. Notre monde n'est vide que pour qui ne sait pas diriger sa libido sur les choses et les hommes et se les rendre vivants et beaux. La beauté ne réside pas dans les choses mais dans le sentiment que nous conférons aux choses. Donc, ce qui nous contraint à créer de nous-mêmes un substitut, ce n'est pas le manque extérieur d'objets. c'est notre incapacité de saisir avec amour une chose hors de nous. Certes, les difficultés des conditions d'existence, les contrariétés de la lutte pour la vie nous accableront, mais, d'autre part, des situations extérieurement pénibles ne contrarieront pas l'amour; au contraire, elles peuvent nous éperonner pour de plus grands efforts, nous amenant à inscrire toute notre libido dans la réalité.

Notre duperie sentimentale a pris des proportions vraiment inconvenantes. Pensons au rôle vraiment catastrophique des sentiments populaires en temps de guerre ! Pensons à notre prétendue humanité ! Combien chaque particulier est la victime impuissante, mais nullement à plaindre, de ses sentiments ! sans doute le psychiatre pourrait-il en révéler bien des choses. La sentimentalité est une superstructure de la brutalité, l'insensibilité est la position contraire; elle souffre, inévitablement des mêmes manques.

Par malheur, c'est presque un idéal collectif que de rester aussi négligent et inconscient que possible dans la situations concernant l'amour. Derrière le masque de respectabilité et d'attachement, la puissance négligée de l'amour empoisonne les enfants. Evidemment on ne peut faire aucun reproche à l'individu puisqu'on ne peut attendre de lui qu'il sache quelle attitude il devrait faire sienne et comment il devrait résoudre le problème de l'amour dans le cadre de notre idéal et de nos convictions d'aujourd'hui. Le plus souvent on ne connaît que les moyens négatifs : négligence, ajournement, refoulement et répression.

Plus est lointaine et irréelle la mère personnelle, plus la nostalgie du fils va chercher loin dans les profondeurs de l'âme et y réveille cette image originelle et éternelle de la mère, à cause de laquelle tout ce qui embrasse, qui entoure, qui nourrit et qui aide prend la figure de la mère, de l'alma mater de l'université jusqu'à la personnification des villes, des pays, des sciences et des idéaux.

Carl Gustave Jung, Extrait de L'Âme et la Vie

Salomé


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Madeleine Gagnon, À l'ombre des mots, poèmes 1964-2006

Corps subtils


Lecture des pierres

Écrire les pierres
Telles qu'elles se lisent

Je ne connais des analphabètes
qui sont d'elles lettrés

Je connais des inscriptions
qui sont des langues
et que la langue ignore

Hors de celle du poème
en état de choc

En état
d'effraction

Madeleine Gagnon, À l'ombre des mots, poèmes 1964-2006

mercredi 12 novembre 2014

Le chanteur du silence


C’était le chanteur du silence. Des milliers de personnes venaient se taire avec lui dans d’immenses salles puis partaient deux heures plus tard pénétrés de son silence. Le chanteur silencieux leur avait tellement dit, tellement parlé en ne disant rien qu’à la fin de ce grand spectacle – et en fut-il de plus grand ? – tous les spectateurs éclatèrent de joie et s’embrassèrent. Le chanteur vint alors signer ses disques où ce n’était (sur chaque face) qu’un enregistrement de cinq mille personnes qui se taisaient ensemble face au chanteur qui se taisait encore plus fort. Comment peut-on se taire davantage que se taire ?

Et on l’entendait en stéréophonie le va-et-vient du silence, la communion silencieuse entre le chanteur et les 5000 personnes de son public, le va-et-vient du silence dans le spectre duquel se cachent toutes les musiques.

Julos Beaucarne

Lacrimae ignem


dimanche 9 novembre 2014

Le traumatisme de la conquête anglaise

En Acadie, de 1755 à 1758, les Anglais effectuent le premier grand nettoyage ethnique de l’ère moderne. Ensuite, ils remontent le fleuve St-Laurent pour attaquer la ville de Québec. Au moment où les soldats français et la milice canadienne se rassemblent dans la région de Québec pour défendre leur ville, les Anglais pillent, saccagent, brûlent granges et maisons, volent victuailles et bétail, tuent, violent les femmes jusqu’à cent kilomètres en amont et en aval de Québec. La vallée du St-Laurent est dévastée. Ensuite seulement eut lieu la bataille des Plaines. Cette bataille, gagnée ou perdue par les Canadiens et les Français, ne changeait rien au destin du Canada. En effet, le roi de France avait déjà renoncé à sa colonie. La preuve en est que l’année suivante, en 1760, Lévy, ses troupes françaises et la milice canadienne ont remporté la victoire de la bataille de Ste-Foy. Le Canada abandonné par son père français (le roi de France Louis XV) est adopté par son nouveau père abuseur (le roi d’Angleterre Georges II). En 1763, le traité de Paris confirme ce qui s’était déjà tramé, comploté même, bien avant la bataille des Plaines. La guerre de sept ans entre l’Angleterre et la France s’était close sur un immense sacrifice : celui du Canada. Pour les Canadiens devenus Canadiens-français, les Anglais sont les maudits Anglais et les Français, les maudits Français.

Le traumatisme de la conquête est sévère et la société francophone en porte encore de sérieuses séquelles. Pourtant, comme toute victime sacrificielle, la société canadienne non seulement désirait la défaite, mais y collaborait. Sur les Plaines les troupes françaises sont beaucoup moins importantes en nombre que la milice canadienne qui venait d’infliger deux cuisantes défaites à Wolfe et ses troupes. Les Canadiens, ayant appris des Amérindiens l’art de la guérilla, étaient quasiment invincibles au combat. Sur les Plaines ils ont obéi aux ordres de Montcalm et se sont battus à l’européenne : debout bien à vue en rangs serrés. Ils se sont offerts eux-mêmes au bourreau sacrificateur, comme le faisaient les victimes sacrificielles quand elles se présentaient volontairement, docilement et même avec enthousiasme au grand prêtre aztèque ou au chamane iroquois pour se faire ouvrir la poitrine et arracher le cœur.

Jean-Jacques Dubois, Extrait de La plainte des Plaines

Charbon


samedi 8 novembre 2014

Chamanisme

Les histoires, autant individuelles que collectives, sont des « spiritogénèses », des théogénèses, des théologies en devenir, en marche. Elles obéissent à une logique invisible qui gère, génère, crée le visible en le transformant sans répit. Cette logique est une information invisible d’une transformation visible comme le génotype du phénotype. Le chamanisme serait alors la collaboration humaine, collaboration au plan divin ou spirituel, à l’Esprit hégélien, collaboration essentielle dont les dieux ne sauraient se passer

Jean-Jacques Dubois, Extrait de Comprendre le malheur

Venues de pays où il ne pleut pas


V

Contrairement au A, le V est un angle ouvert vers le haut. Les deux barres du V s'éloignent l'une de l'autre pour agrandir l'espace intérieur de façon géométrique. Ainsi, le V est un contenant, symbole du Verbe, le contenant de nos pensées. Saviez-vous que le V est attribué exclusivement au phénomène Christique ? Le Verbe humain étant symbolisé par le W. Pourquoi ?

Parce que le V est une lettre à part entière, alors que le W est formé de deux V. Elle est le Verbe complet, unifié, pur. C'est la 22ème lettre, révélant un Tout, à l'image des 22 dimensions de notre espace d'évolution angélo-humain. Le V est le point central qui rayonne, la lumière d'un phare qui éclaire dans toutes les directions, car le V pivote facilement sur son axe, notamment pour former le X. C'est d'ailleurs le V qui a été choisi pour désigné la Victoire dans la main des combattants, formule d'espoir dérisoire au regard des objectifs humains de conquête terrestres.

Le V en tant que contenant verra bientôt son contenu déversé dans l'ère portant son initiale : le Verseau, dont l'analyse montre clairement le versement des eaux, c'est à dire du Verbe divin. Normal car le V est le symbole du Verbe de Dieu.

Hypothèses plausibles

 




vendredi 7 novembre 2014

M

Le M est fondamentalement associée à l'Amour. La forme de la lettre représente deux êtres qui se donnent la main ou deux 1 qui se regardent, symbole de l'androgyne (et que nous retrouvons d'ailleurs dans le mot : aMe)

C'est donc l'initiale choisie spécialement pour former les Mots : Marie ou Matière, dérivée du mot Mère, l'Amour absolue. On peut comprendre à ce niveau que le M en son centre supérieur est un vase contenant, le V central, supporté par deux piliers, désignant ainsi la Matière comme contenant du Verbe et de la Vie. Les deux piliers, identiquement à la lettre H, sont l'assise de la vie, la stabilité : symbole d'éternité. Ils symbolisent aussi la Porte du Temple de l'Espace infini (Cf "la Vie des Symboles", p.57)

Vous pouvez d'ailleurs remarquer que l'initiale du "Mot" est aussi un M, cachant à peine l'utilisation obligatoire de ceux-ci...

Ne vous étonnez pas non plus que le mot "Mort" utilise aussi cette initiale. La mort n'existe pas en tant que telle, car elle est aussi une transmutation... de son vivant à susciter ou plutôt à re-susciter ! C'est donc fondamentalement un acte d'amour, malgré les apparences. Regardez ce recoupement sur la Mort : le Mest la 13ème lettre, symbole traditionnel du passage de la mort (voir la lame du Tarot) vers un autre état, somme de vies accumulées. (Le M couché sur la gauche exprime aussi la somme mathématique)

Magnétosphère


O

Le O est une plénitude. Il prend la forme du cercle, espace clos. C'est une symbolique d'accomplissement.

Pourtant, cela reste un potentiel, une matrice fécondable (voir la lettre Q), donc la lettre O représente une étape d'évolution, passagère mais complète en soi.

Voyez en recoupement la position de la lettre : la 15ème dans l'alphabet, c'est à dire le A = 1 de Adam et le E = 5 de Eve, androgyne accompli, mais qui reste en évolution, éternellement. Le O est aussi la lettre finale du Verbe Originel, l'Ousouema, signalant une plénitude d'accomplissement.

Oxyde ferrique


jeudi 6 novembre 2014

La variante du HB

La dimension 0 est un point infini dans un système de dimensions infinies.
La 1D est une ligne infinie faite de points infinis,
La 2D est un plan infini fait de lignes infinies,
La 3D est un espace infini fait de plans infinis,
La 4D est un moment infini fait d’espaces infinis,
La 5D est une réalité infinie faite de moments infinis,
La 6D est une perception infinie faite de réalités infinies,
La 7D est un univers infini fait des dimensions 0-6.
La 8D est une ligne universelle infinie faite des points universels infinis,
La 9D est un plan universel infini fait des lignes universelles infinis.

Révolution


mardi 4 novembre 2014

Le corps, le voir, le dire

Ici, une tempête a déjà frappée la Gaspésie, une cinquantaine de centimètre. Surprenant comme première dégelée. Sur l'île de béton, rien encore mais l'odeur de l'hiver déjà rôde. J'ai toujours raffolé des parfums de glace bleue avant l'arrivée de la grande Blanche, mais cette année les effluves sont moribonds. Le ciel est bas, gris, touffu et aucun vent n'agite les branches évidées. Tout est figé comme le corps et l'esprit des gens.

Quand le temps se fixe, la mort rôde.

Je cherche un mouvement autre que l'agitation qui m'habite, mais le lin demeure silencieux. Rien ne grince mais rien n'est paix. J'ai toujours de longues périodes d'incubation après des périodes intenses, mais là, aucune projection qui serait un combustible assez puissant pour marquer un territoire. Le pictural est toujours affaire de délimitation.

Des pistes que je cherche chez la tribu africaine du Mali, les Dogons en lien avec le premier langage, en lien avec celui que me parle M-a au sujet de Lacan concernant sa lalangue. «Le langage, dit Lacan, est fait de lalangue; c'est une élucubration de savoir sur la langue.» Mon obsession doit venir de ce premier langage signé qui est le mien, où l'observation extrême de la plastie est la fondation de ce dire gestuel.

Le corps, le voir, le dire, dans cet ordre.

Dans mon histoire, j'ai vu tellement de chair mutilées par la maladie où l'accident de peau devenait un outil de lecture pour mieux saisir le langage de l'être que je n'arrive pas à comprendre cette obsession du lisse sur les corps, cette façon de colmater les pores et les ridules du dire. Les plis sont des mots.

Le monde est maintenant lisse, ça hurle, enfermé. 

dimanche 2 novembre 2014

Sirius, l'étoile Dogon

Jordi Savall refuse le Prix National de Musique 2014

Extraits de sa lettre au Ministre de l'Education, de la Culture et des Sports espagnol, José Ignacio Wert.

Monsieur le Ministre, 

Recevoir la nouvelle de ce prix important a provoqué chez moi deux sentiments contradictoires et totalement incompatibles : j'ai tout d'abord éprouvé une grande joie pour la reconnaissance de 40 années de passion exigeante pour la diffusion de la musique en tant que force et langage de civilisation et de vivre ensemble. Mais j'ai ressenti également une profonde tristesse, car je ne peux accepter ce prix sans trahir mes principes et mes convictions les plus profondes.

Je regrette donc de vous informer que je ne peux accepter cette distinction qui vient de la main de la principale institution de l'Etat espagnol, responsable, à mon sens, du dramatique désintérêt et de l'incompétence grave dans laquelle se trouvent plongées la défense et la promotion de l'art et ses créateurs (...)

Voilà trop longtemps que les instances du Ministère d'Education, de la Culture et des Sports que vous dirigez ne font rien pour promouvoir les différentes disciplines de la vie culturelle de l'Etat espagnol qui luttent actuellement pour leur survie, sans la moindre aide institutionnelle ni loi en faveur d'un mécénat qui les aiderait à se financer et à continuer d'exister.

Nous vivons une crise politique, économique et culturelle grave qui a pour conséquence que le quart des Espagnols vivent dans une situation de grande précarité et que la moitié des jeunes n'ont pas et n'auront pas la moindre perspective de trouver un emploi qui leur assure les conditions minimales d'une vie digne.
La Culture, l'Art, et particulièrement la Musique, sont la base de l'éducation qui nous permet de nous réaliser personnellement et, en même temps, d'exister comme entité culturelle dans un monde sans cesse plus globalisé. Je suis profondément convaincu que l'Art est utile à la société, contribuant à l'éducation des jeunes et au renforcement de la dimension humaine et spirituelle de l'être humain. 
(...)

L'ignorance et l'amnésie sont la fin de toute civilisation : sans éducation, il n'y a pas d'art et sans mémoire, il n'y a pas de justice.
 
Nous ne pouvons accepter que l'ignorance et le manque de toute conscience de la valeur de la culture, dans le chef de nos plus hauts responsables politiques, érodent impunément le difficile travail de tant de musiciens, acteurs, danseurs, cinéastes, écrivains, artistes plasticiens qui ne méritent pas le traitement qu'on leur inflige et qui sont les véritables protagonistes de l'identité culturelle de ce pays. 
Pour toutes ces raisons, c'est avec une profonde tristesse que je refuse le Prix National de Musique 2014, espérant ce que sacrifice sera interprété comme en rejet en faveur de la dignité des artistes et qu'il puisse, peut-être, servir de base de réflexion pour inventer et construire un avenir plus prometteur pour notre jeunesse.

Je crois, comme le disait Dostoïevski, que la Beauté sauvera la monde (sic), mais pour ce faire, il faut pouvoir vivre dignement et avoir accès à la Culture et à l'Education.

Cordialement,
Jordi Savall