En Acadie, de 1755 à 1758, les Anglais effectuent le premier grand nettoyage ethnique de l’ère moderne. Ensuite, ils remontent le fleuve St-Laurent pour attaquer la ville de Québec. Au moment où les soldats français et la milice canadienne se rassemblent dans la région de Québec pour défendre leur ville, les Anglais pillent, saccagent, brûlent granges et maisons, volent victuailles et bétail, tuent, violent les femmes jusqu’à cent kilomètres en amont et en aval de Québec. La vallée du St-Laurent est dévastée. Ensuite seulement eut lieu la bataille des Plaines. Cette bataille, gagnée ou perdue par les Canadiens et les Français, ne changeait rien au destin du Canada. En effet, le roi de France avait déjà renoncé à sa colonie. La preuve en est que l’année suivante, en 1760, Lévy, ses troupes françaises et la milice canadienne ont remporté la victoire de la bataille de Ste-Foy. Le Canada abandonné par son père français (le roi de France Louis XV) est adopté par son nouveau père abuseur (le roi d’Angleterre Georges II). En 1763, le traité de Paris confirme ce qui s’était déjà tramé, comploté même, bien avant la bataille des Plaines. La guerre de sept ans entre l’Angleterre et la France s’était close sur un immense sacrifice : celui du Canada. Pour les Canadiens devenus Canadiens-français, les Anglais sont les maudits Anglais et les Français, les maudits Français.
Le traumatisme de la conquête est sévère et la société francophone en porte encore de sérieuses séquelles. Pourtant, comme toute victime sacrificielle, la société canadienne non seulement désirait la défaite, mais y collaborait. Sur les Plaines les troupes françaises sont beaucoup moins importantes en nombre que la milice canadienne qui venait d’infliger deux cuisantes défaites à Wolfe et ses troupes. Les Canadiens, ayant appris des Amérindiens l’art de la guérilla, étaient quasiment invincibles au combat. Sur les Plaines ils ont obéi aux ordres de Montcalm et se sont battus à l’européenne : debout bien à vue en rangs serrés. Ils se sont offerts eux-mêmes au bourreau sacrificateur, comme le faisaient les victimes sacrificielles quand elles se présentaient volontairement, docilement et même avec enthousiasme au grand prêtre aztèque ou au chamane iroquois pour se faire ouvrir la poitrine et arracher le cœur.
Jean-Jacques Dubois, Extrait de La plainte des Plaines
Aucun commentaire:
Publier un commentaire